Gaza, encore et toujours (1/3)

1- Une nouvelle clinique à inventer et promouvoir : l’ophtalmologie politique. Elle se destinerait à soigner ceux/celles qui voient des génocides là où il n’y en a pas et ne voient rien des pratiques génocidaires en cours ; ceux/celles qui ont cru dur comme fer à la fable du génocide ouïgour perpétré par le pouvoir chinois et dont le correspondant du Monde à Pékin vient de reconnaître sur une page entière qu’il n’était, tout bien considéré, qu’une fantasmagorie propagandiste de l’Occident [1] – ceci après avoir longuement soutenu le contraire dans les colonnes du même journal ; et, de même, ceux/celles qui, tandis que des milliers de Gazaouis succombent sous les bombes, reculent devant le mot génocide avec autant d’allant qu’ils ont dénoncé le « terrorisme » pratiqué par le Hamas [2]. Il avait raison, Finkie : la négation est promise à un brillant avenir, mais pas forcément, en premier lieu, celle qu’il incriminait. Et puis surtout, ce qu’il n’avait pas du tout prévu, c’est qu’elle aurait pour compagne la promotion des génocides utiles en tant qu’imaginaires.

2- Idem, se remarque, sur les cerveaux blancs produits en série et pourtant porteurs du label de qualité made in democracy, cet irritant défaut de fabrication : certains crimes impriment dans leurs cerveaux, et même en caractères gros et gras – et d’autres pas du tout. Ce qui a pour effet qu’ils oublient systématiquement sur quelle série de crimes antérieurs enchaîne ce qui, dans l’instant, leur est vendu comme un crime absolu, sans contexte ni provenance, gratuit, aveugle, sans équivalent. Ce qui fait cruellement défaut, dans la fixation présentiste sur les événements récents, ce sont les chronologies, la chronique des enchaînements dont ces événements sont le débouché.

Ce n’est pas tout à fait fortuit. C’est que la connaissance des enchaînements, c’est le début de l’intelligibilité des événements, en particulier ceux qui se présentent à nous sous le signe de l’exception et du terrible. Or, ce que cultive le storytelling de la barbarie de l’Autre, ce n’est pas l’intelligence du présent, c’est la sidération, l’horreur, l’effroi du public. Dans l’ordinaire des temps, en démocratie policière, on gouverne à la peur (à la sécurité/insécurité, à la police). Dans une séquence comme celle qui s’est ouverte le 7 octobre, l’occasion est donnée à nos gouvernants de passer à la vitesse supérieure : on gouverne et on gouvernera aussi longtemps que faire se pourra, à la terreur, aux bénéfices substantiels qui peuvent être tirés des « dramatiques » événements en cours.

L’effroi, la sidération ont pour corrélat la tétanie du public – le consensus purement affectif face au déluge de feu, de fer et de sang, pour parler la langue de l’apocalyptisme journalistique (Le Monde du 4/11/2023). Toujours ça de gagné dans une séquence où les gens de pouvoir voguent d’expédient en expédient, dépourvus qu’ils sont de toute vision ou stratégie politique à moyen terme (pour ne rien dire du long – ils n’ont plus de boussole depuis longtemps).

3- De la même façon que Victor Klemperer écrit, dans son journal, « les nazis ne sont pas les Allemands », Hitler et sa séquelle ne sont pas l’Allemagne, il faudrait pouvoir dire aujourd’hui avec force et contre le cours visible des choses : les gens qui gouvernent en Israël aujourd’hui et plus généralement le sionisme étatique, ce ne sont pas des Juifs, ils ne sont pas le monde juif. Ce qui veut dire beaucoup plus que : leur prétention à « représenter » la totalité de ce monde est une imposture, ils ne « représentent » pas tous les Juifs. Ce qui veut dire plutôt, comme l’entendait Klemperer, à propos des nazis : ils sont la négation même de ce au nom de quoi ils parlent et agissent, ils sont une monstrueuse excroissance sur le monde juif et ses traditions. Leur imposture prospère sur la plus abusive des captations du mot « juif ». En vérité, ils sont comme tous les gangsters de la politique moderne – venus de nulle part, surgis du néant, pèlerins du néant.

4- Au miroir de l’urbicide en cours à Gaza (avec tout ce qui l’entoure et l’accompagne), se dévoile une évidence qui, sous nos latitudes et dans l’ordinaire des temps, se dérobe obstinément : à l’échelle de la planète, mis à part quelques gated communities idéologiques protégées par la police de la pensée, tout le monde déteste Israël, pure incarnation de la violence étatique contre les gens, figure emblématique de l’injustice, du chaos, de l’esprit de conquête – puissance nihiliste ; ceci dans le sens même où, en France, tout le monde déteste la police. « Tout le monde », ici, est une figure affective de la volonté générale, qui, comme l’a établi Rousseau, se distingue de la volonté de tous – on trouvera toujours des intérêts particuliers, des abusés, des égarés pour considérer que l’Etat sioniste réduit Gaza en cendres à bon droit, en état de légitime défense. Mais « tout le monde », c’est ce dont la presse ne parle guère, la voix des peuples : aux dernières nouvelles, le Chili, le Pérou et la Bolivie, en phase avec les opinions de ces pays, rompent leurs relations diplomatiques avec Israël, au vu de l’opération en cours à Gaza.

5- Dans ce genre de contexte, il se trouvera toujours un rappeur un peu expéditif, un athlète ou un joueur de foot à la dialectique pas très acérée pour se faire rappeler à l’ordre par les veilleurs de nuit d’en haut, après avoir twitté à la hâte : « Netanyahou = Hitler ». Ceux qui le clouent alors au pilori ont beau jeu de rappeler que, les camps d’extermination et les chambres à gaz n’existant pas en Israël ou dans les territoires occupés, la « comparaison » ou plutôt la mise en équivalence est indue, que dis-je, infâme.

Mais la mise en scène de l’indignation est ici fondée sur un sophisme détectable à l’œil nu. Celui-ci consiste à partir de l’idée, intrinsèquement fallacieuse, que ne serait comparable que ce qui serait, en vérité, identique. Le fondement de la comparaison légitime, en termes historique, ce serait l’identité. Or, comme l’Etat d’Israël n’a, à l’évidence, pas mis en route une Solution finale de la « question palestinienne » de même forme que celle que les nazis ont mise en pratique à l’encontre des Juifs, le trait d’égalité tracé entre Hitler et Netanyahou est donc une insanité qui se retourne contre celui qui ose cette mise en équivalence.

Mais ce n’est là que rhétorique de l’indignation, chantage moral, shaming à bon compte, en lieu et place de raisonnement (räsonieren, le vieux Kant). L’idée de fond – n’est comparable, à proprement parler, que ce qui est identique – est inconsistante. Ce qui se compare, au contraire, c’est ce qui ne peut être rapproché qu’en tant que différent. Or, le propre de toute situation ou configuration historique est d’être une singularité – ce qui se compare, ce sont des singularités qui, par définition, sont différentes. Donc, l’argument qui dit : pas d’Auschwitz en Eretz Israël, dont les victimes seraient les Palestiniens, ergo, pas de comparaison possible – cet argument ne vaut rien.

Le fondement de la mise en équivalence minimaliste opérée par des personnages publics dont ce n’est pas le métier de räsonieren n’en est pas moins enraciné, pour autant, dans le sens commun : ce que Hitler et Netanyahou (et sa séquelle) ont en commun, c’est la détermination inflexible et fanatique à empêcher un peuple de vivre parmi les autres peuples [3]. Pour le reste, à chacun sa méthode mortifère pour parvenir à réaliser cet objectif. Mais la comparabilité s’établit bien, et solidement, dans cet élément et sur cette ligne d’horizon : Netanyahou ne connaît aucune limite dans son projet d’empêcher les Palestiniens d’être autre chose qu’une population résiduelle, il n’en veut en aucun cas comme peuple. Ce projet de réduction réveille les souvenirs du crime nazi, qu’on le veuille ou non. Ce n’est pas pour rien que le terme de ghetto s’est imposé pour désigner l’enclave de Gaza, ou bien encore : camp de concentration à ciel ouvert. Là, c’est la langue qui pense par elle-même là où la faculté de raisonner de l’intelligence servile est en défaut.

6- La Guerre de cent ans (XIVe et XVe siècles) est, selon nos souvenirs scolaires, le symbole terrible des temps obscurs. Mais, au train où vont les choses (et l’on ne voit vraiment pas comment elles pourraient cesser d’aller en s’aggravant) la guerre qu’Israël livre aux Palestiniens sera, elle aussi, bientôt centenaire. Les temps obscurs ne sont pas un souvenir lointain, nous sommes en plein dedans, mais en pleine méconnaissance de notre présent. Pour mémoire : la persécution des Juifs par les nazis et leur Etat a duré, elle, douze ans.

7- « Qui pour gouverner Gaza ? », se demande un éditorialiste du Monde (3/11/2023) ; pas les Palestiniens eux-mêmes, assurément, éternels mineurs par vocation et destination, tantôt victimes, tantôt bourreaux, acteurs et sujets aveugles d’un drame qui les dépasse, statue la doxa blanche néo-coloniale, néo-impériale : « Plus que jamais, la tragédie israélo-palestinienne requiert une intervention internationale, mais cette fois avec un ’horizon politique’ imposé (sic) ». Plus que jamais ? Mais cela fait un demi-siècle au moins que l’on nous dit que la communauté internationale, l’ONU, les grandes puissances occidentales vont prendre l’affaire en mains et imposer aux parties en présence un règlement pacifique et définitif du conflit... avec le succès que l’on sait.

Et si l’on inversait la proposition ? Et si l’on commençait par dire que plus que jamais il est urgent de créer les conditions dans lesquelles les Palestiniens deviendraient maîtres de leur propre destin ? Si l’on commençait par reconnaître leur droit à disposer d’eux-mêmes ? Et que moins que jamais, c’est d’un xième « mandat » des puissances néo-impériales qu’ils ont besoin, d’une tutelle exercée par ceux-là même qui, depuis les origines, ont soutenu leurs oppresseurs et ennemis ? En toute priorité, ce dont les Palestiniens ont besoin est ceci : que soit reconnu leur droit à disposer d’eux-mêmes, que les démocraties occidentales cessent de soutenir et d’armer la puissance qui s’acharne à les détruire.

8- Le Monde reprend en boucle la trouvaille d’un de ses éditorialistes : « Les Juifs de France ne sont pas plus responsables de la politique d’Israël que les Arabes de France ne le sont du terrorisme du Hamas » – dans un article intitulé « La France n’est pas le Proche-Orient » (Le Monde des 29-30/10/2023).

C’est un sophisme caractérisé, destiné à seconder l’enfumage élyséen – d’un côté le soutien sans réserve apporté à Israël et de l’autre la singerie de l’inquiétude simulée : il ne faudrait surtout pas que les « tragiques événements » en Israël/Palestine sèment dans la société française le ferment de la division. Eviter à tout prix d’importer en France ce conflit mortifère – comme s’il n’était pas voué à s’importer de lui-même et par la force des choses…

C’est un pur sophisme de journaliste, le genre de faux raisonnement de coquette apparence que l’on apprend à trousser dans les écoles de journalisme et destiné à être répété à l’envi par les perroquets de service [4]. C’est un sophisme pour une multitude de raisons. En voici la principale.

Le simple fait que l’Etat d’Israël se définisse lui-même comme Etat des Juifs, génériquement, et pas seulement comme Etat des Juifs vivant dans son espace, Etat dans lequel tout Juif, d’où qu’il provienne, sera accueilli à bras ouverts et aura vocation à jouir d’une pleine condition de citoyenneté, s’il le désire (ça s’appelle faire son alya) – ce simple fait établit un lien particulier entre les Juifs du monde entier et cet Etat qui se dit juif, un lien dont nul équivalent ne se retrouve, par exemple, dans le monde arabe, en général : il n’existe pas d’Etat arabe qui se définisse comme Etat des Arabes du monde entier, qui se destinerait à accueillir tout Arabe ayant vocation à en faire partie de droit de cette entité, quel qu’il soit et d’où qu’il provienne. Le Hamas, qui est un mouvement, une faction, un parti doté d’une branche armée (et pas un Etat), se veut le représentant, l’incarnation politique et le bras armé du peuple palestinien en lutte pour sa libération. Il ne prétend aucunement être l’incarnation d’un quelconque panarabisme ou du destin du « peuple arabe » (notion disputée), en général.

La singularité de l’Etat juif, dans sa prétention à incarner le destin des Juifs du monde entier, a pour effet que son existence même et ses actions, en particulier quand elles sont litigieuses, mauvaises, criminelles embarquent les Juifs, en général, quels qu’ils soient et où qu’ils vivent. Ce qui ne veut pas dire : les rend ipso facto responsables et moins encore coupables de ces exactions. Mais je dis bien : les embarque, les implique, les compromet, de la même façon qu’au temps de l’URSS (et tout particulièrement dans la phase stalinienne de celle-ci), tout communiste, où qu’il se soit trouvé et quelle qu’ait été sa position dans ce mouvement en général, se trouvait embarqué par la politique de l’URSS et, en particulier, par les crimes de Staline.

Ses adversaires, d’ailleurs, ne se privaient pas (et nul ne s’en formalisait) de lui demander des comptes à ce propos.

Idem, donc, la conséquence inéluctable de l’existence d’un Etat qui, par un coup de force performatif (décisionniste) se présente au monde comme Etat des Juifs (le Judenstaat de Herzl) a pour effet qu’il est impossible pour un Juif d’ignorer ce fait d’Histoire, de se déclarer indifférent, sans opinion, entièrement éloigné de ce donné. Cela découle imparablement du régime d’Histoire sous lequel nous vivons – c’est toujours aussi en son nom, l’usurpant ou pas, que l’Etat d’Israël s’engage dans les actions qu’il entreprend, et plus celles-ci sont critiquables, plus ce lien destinal entre cette puissance et le Juif individuel ou les communautés juives dispersée devient lui-même litigieux, problématique.

Lorsque, dans un pays comme la France, pour ne rien dire de l’Allemagne, ce qui se définit (non sans abus) comme « la communauté juive » s’abstient, dans sa très grande majorité, de se déclarer (prendre position) face à la colonisation de la Cisjordanie et aux destructions massives commises à Gaza ; lorsque, pire, les prétendues instances représentatives de cette dite « communauté », CRIF en tête, pratiquent un suivisme tant servile que zélé dans leur rapport à cet Etat, alors, assurément, la question du « au nom de », de l’ « embarquement » volens nolens, des Juifs de la diaspora par la puissance israélienne devient hautement matière sensible par excellence.

Le terme « responsable » employé par le journaliste du Monde dans sa formule destinée à accréditer la pure fiction de mondes séparés veut laisser entendre que ceux qui s’étonnent du silence de la grande majorité des Juifs de France face à la violence structurelle, toujours plus accentuée, que l’Etat d’Israël déploie contre les Palestiniens, ne visent qu’à réveiller le mythe du « Juif coupable » [5].
Ce motif est ici le verrou du sophisme. Il s’agit bien de donner cours à la fable selon laquelle les Juifs de France et de toutes les diasporas ne seraient en rien engagés par le destin de l’Etat d’Israël, tel que le forge aux pires conditions les dirigeants de ce pays. Mais non : ce lien existe, et plus les choses empirent, plus Israël s’enfonce dans la criminalité d’Etat, plus ce lien est dramatiquement tangible et plus sont requises ces voix, si rares malheureusement, mais qui, néanmoins se font parfois entendre dans le monde juif : « Pas en mon nom ! ».

Ce n’est pas nous, adversaires déclarés de la politique de l’Etat juif autoproclamé qui nous activons à « culpabiliser » les Juifs de France et d’ailleurs à l’occasion des exactions et crimes perpétrés par cet Etat – c’est bien l’existence même de cette puissance et sa prétention ethnocratique qui adressent une sommation aux Juifs du monde entier : il leur faut bien se prononcer sur ce qu’entreprend Israël comme Etat déterminé à capter le signifiant juif, dans toutes ses acceptions, dans tous ses usages.

Le sophisme se prolonge dans le titre de l’article du folliculaire du Monde : « La France n’est pas le Proche-Orient ». A partir du moment où le premier mouvement du chef de l’Etat français, lorsque la guerre se rallume en Israël/Palestine, est de se précipiter dans les bras de celui qui, depuis tant d’années, souffle sur les braises en vue d’envenimer le différend israélo-palestiniens, alors, dans un pays comme le nôtre (où il existe une « rue arabe » comme il existe une « rue juive »), toutes les conditions sont créées pour que cet affrontement s’acclimate sous nos latitudes et pour qu’y prospère un copier/coller de ce conflit.

Le régalien (la politique internationale comme prérogative du chef de l’Etat) trouve ici ses limites distinctes : quand l’autorité suprême de notre pays manifeste, dans un contexte comme celui de la bataille en cours, une si flagrante partialité, celle-ci nous embarque aussi et nous sommes portés, nous aussi, à statuer : « Pas en mon nom ! » – comme nous aimerions que le fassent à plus haute et intelligible voix les Juifs de France quand Netanyahou, ses ministres fascistes, ses généraux et ses pilotes de F16 entreprennent de réduire Gaza en cendres.

Enoncée dans ce contexte, la formule « La France n’est pas le Proche-Orient » a des senteurs munichoises qui nous révulsent.

9- Après le 7 octobre, un règlement inflexible s’est établi, dans la parole publique, en matière de sommation(s) : si vous souhaitez exprimer une opinion, proposer une analyse, un commentaire à propos des événements en cours, vous devez obligatoirement commencer non seulement par dénoncer l’action entreprise par le Hamas, mais par l’épingler dans les termes obligatoires et réglementaires : terroriste, barbare, horrible. Faute de le faire, vous demeurerez inaudible et vous serez menacés de représailles.

Le simple fait qu’un tel régime de sommation n’existe pas concernant les violences exercées sur les Palestiniens et sur lesquelles enchaîne on ne peut plus distinctement l’opération conduite par le Hamas, qu’il ne soit pas requis de se prononcer explicitement à ce propos pour pouvoir énoncer publiquement à quel point les massacres commis par le Hamas nous révulsent – ce simple fait en forme de « deux poids deux mesures » nous a constamment suffi pour que nous nous refusions, d’emblée, à nous plier à ce règlement biaisé. A tenir bon face au chantage sommationnel, comme nous l’avions fait, déjà, lors du carnage de Charlie hebdo, lors de l’assassinat de Samuel Paty.

Nous voulons bien entendre les sommations, mais pour peu que celles-ci ne reposent pas avant tout sur l’exploitation de l’émotion, destinée à masquer les enchaînements qui conduisent à l’explosion de violence, à éluder la question de savoir qui s’est embarqué dans quoi, qui a embarqué qui et dans quelles circonstances. Se plier au rite (consistant ici en l’expression de l’horreur que nous inspire(rait) le crime et, accessoirement en l’expression d’une compassion réglementaire/réglementée), c’est avant tout faire acte d’allégeance au pouvoir qui fixe les termes et dicte les conditions dans lesquelles va se former, à son profit, le consensus horrifié de l’anti-terrorisme [6]. Or, rien de plus biaisé et, dans son fond, d’immoral et d’intrinsèquement nihiliste qu’un tel consensus.

(À suivre...)


Notes

[1] Frédéric Lemaître : « Au Xingjiang, la terreur s’estompe, la peur demeure », Le Monde du 25/10/2023).

[2] Question à 1000 euros : quelle proportion de ceux qui participeront à la manif consensuelle contre l’antisémitisme ont-ils participé à un rassemblement contre la guerre génocidaire conduite par Israël à Gaza ?

[3] Le fait qu’à Gaza, les bombardements massifs tuent les enfants, en masse, met en lumière leur intention génocidaire : quand on veut empêcher un peuple d’exister, les enfants sont une cible de choix, de même que quand on veut polluer et humilier une race, on pratique les viols ethniques (comme en ex-Yougoslavie).

[4] Dans les écoles de journalisme, on n’apprend pas à faire du présent un enjeu de réflexion critique, à en problématiser les traits particuliers, à « raisonner » à son propos, mais à redéployer le storytelling et les éléments de langage requis. Le journalisme parle, chez nous et sauf exception, la langue du pouvoir et de l’hégémonie.

[5] Voir l’intervention de Gérard Miller dans Le Monde (11/09/2023) : « Jamais un aussi grand nombre de juifs français n’ont perdu à ce point leur boussole morale ».

[6] Il existe en la matière tout un règlement discursif, un usage réglementaire ou plutôt automatique du vocabulaire qui trahit constamment la propension, dépourvue de tout fondement rationnel, du commentateur blanc (démocratique et occidental) à voir l’absolu du mal du côté des violences vives, directes et artisanales commises par des combattants qui sont davantage des guerriers que des soldats, plutôt que dans la violence industrielle commise par les bureaucrates du crime qui se tiennent éloignés de leurs victimes. Mais cette sensiblerie qui s’exprime dans l’emploi des mots (on ne parle jamais de « crimes barbares », de bain de sang « horrible » à propos des massacres aériens perpétrés par l’aviation israélienne) est bien mauvaise conseillère : les crimes industriels étatiques produisent des dommages qui ne se comparent pas avec ceux qui résultent des raids guerriers qui sont des opérations artisanales. Les Blancs préféreront toujours la terreur… blanche.

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