BCT-Gouvernement : Un faux problème mal posé dans un moment mal choisi

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Au moment où le Gouvernement-Fakhfakh était face à un défi interne de raffermissement de son équipe hétérogène, levait des slogans à contenus difficilement réalisables, ni dans le moyen terme (lutte contre la rente et la corruption, assainissement des finances publiques et réduction du secteur informel), ni dans le très court terme (mobilisation des parties prenantes et des fonds nécessaires contre le Covid-19, réhabilitation de la confiance populaire autour de l’Etat, etc.), la communication de la BCT était claire.

Elle fut articulée autour de la mise en avant d’un ‘’conservatisme’’ au sens de Rogoff (1985), donnant la priorité absolue à l’objectif de l'inflation par rapport aux autres objectifs ‘’secondaires’’, et l’aversion élevée – dans le cas d’espèce- pour le risque de change.

Outre l’annonce précipitée des prévisions sur le taux de croissance et la publication non-périodique ‘’d’études’’, cette communication était sur fond d’Indépendance de la BCT et autres arguments considérés logiques tels que le refus de la comparaison internationale en matière de QE, la nécessité au Gouvernement d’améliorer le climat des affaires, d’investir pour la croissance économique et de rationaliser ses choix budgétaires. De ce fait, il ressort – à tort ou à raison – qu’une distorsion institutionnelle selon laquelle la ‘’BCT a fait son devoir et il reste au Gouvernement de jouer son rôle’’.

Or, c’est la politique monétaire qui devrait être accommodante et contra-cyclique à celle budgétaire et non le contraire ! Ceci ne nous semble en fait pas la meilleure manière de communiquer sur la crise dont les retombées n’épargneraient fort probablement ni le Gouvernement ni la BCT. En effet, cette approche évacue de l’analyse toute possibilité d’arrangements institutionnels raisonnable, voire l’arbitrage et la coordination à la Euler des politiques macro-économiques1.

Ce même éminent économiste (K. Rogoff) dans la même référence ci-dessus, montre magistralement que l’unique objectif de maitriser l’inflation dans un contexte spécifique de récession économique perdrait sa pertinence, puisque le chômage risquerait d’augmenter sinon persister à des niveaux élevés par la hausse des salaires réels, auquel nous ajoutons la faible mobilité spatiale et sectorielle de la population active menacée d’exclusion ; soit exactement l’actuelle situation de la Tunisie à laquelle s’ajoute des pressions à la hausse sur le salaire.

En ce même moment, des dizaines de webinaires – mais pas tous- étaient centrés autour de la compréhension avec peu d’outils statistiques et méthodologiques de la structure des chaines de valeur industrielles mais aussi autour de la recherche des ‘’avantages comparatifs’’ de la Tunisie ; avantages incomplètement conçus au plan théorique et non-rigoureusement identifiés, ont été diversement envisagés pour la période post-Covid-19 !

Par ailleurs, contraint par les délais constitutionnels de soumission de la Loi de Finances, le nouveau Gouvernement, par l'intermédiaire de son Ministre de l'Économie, des Finances et de l'Appui à l'investissement (MEFAI), s'est empressé d'exprimer sa `` surprise '' face à la situation `` malheureuse '' des finances publiques et même de faire allusion au `` maquillage des statistiques officielles', ce qui nous semble assez maladroit en matière de transparence et de crédibilité des politiques publiques antérieures.

De leur côté, en réaction à ces bilans peu professionnels annoncés en public, certains anciens ministres, nécessairement impliqués dans la fragilité actuelle des finances publiques, se sont précipités intensément pour se positionner en ‘’sources de sagesse et de connaissance’’, n’ont pas hésité de sommer l’actuel MEFAI– à tort ou à raison – de ‘’réviser sa copie’’, sans avancer des solutions viables à la présente crise mettant en avant leur ‘’mérite auto-attribué’’, perdant ainsi de vue une approche globale et inclusive, enseignée par la Macro-économie et l’Economie Institutionnelle modernes.

Tel est le contexte de fracture institutionnelle de la gestion de l’une des rares crises économiques les plus profondes en Tunisie : le taux de chômage STRUCTUREL le plus élevé, la croissance POTENTIELLE la plus faible et l’insoutenabilité du déficit et de la dette publics la plus DURABLE (1914-2020) depuis 1986. En effet, le ratio du déficit primaire réalisé varie entre 3 et 6.2% alors que le ratio du déficit primaire ‘’soutenable’’ varie entre 0.77 et 2.5% sur la même période2.

Sans s’étaler sur une revue inutile de la littérature sur les enjeux de l’indépendance des banques centrales dans cet espace public et sans prétention intellectuelle aucune, l’actuelle fracture institutionnelle ,affectant nécessairement la formation des anticipations des agents économiques et menaçant l’architecture de l’Etat ainsi que les capacités du pays à faire face à la crise, était à l’évidence attendue lorsque nous avons modestement fait un ‘’Appel à une cohésion institutionnelle’’ le 1er janvier 20123.

La revendication à l’époque par la BCT de son ‘’indépendance’’, sans qu’un projet alternatif soit avancé4, était ostentatoire puisque son statut de 2006, très bien écrit de passage, lui garantissait le statut des Banques Centrales les plus indépendantes au monde, c’est-à-dire indépendance aussi bien par les ‘’objectifs’’ que par les ‘’instruments’’.

Ceci est garanti en Tunisie depuis longtemps contrairement au statut de la prestigieuse Banque d’Angleterre (indépendante seulement par les Instruments), la Bundesbank (indépendante seulement par les Objectifs) et la Banque de France (indépendante par l’Objectif et partiellement par l’Instrument), avant l’accord de la BCE et le Pacte de Stabilité et de Croissance de 1997 (qui vient d’être enterré dans le sillage de l’actuelle crise du Covid-19), fixant l’objectif de 2% d’inflation à toutes les banques centrales européennes.

Pour la BCT, il aurait suffi peut-être de remplacer un seul article de son statut de 2006 portant sur sa redevabilité au Président de la République qui désignait (révoquait) le Gouverneur, par sa redevabilité au parlement comme indiqué dans le statut de 2016 qui renforce davantage son indépendance de jure mais allège les mécanismes de sa redevabilité.

A notre lecture du statut de 2016, nous avons proposé entre autres l’Institutionnalisation de la coordination des politiques monétaire et budgétaire5. Précisément, elle ne consiste pas en des échanges de positions entre les deux institutions respectives de l’Etat, mais il s’agirait de déterminer le champ de l’exercice exact des deux politiques de court terme lors de la conception et la construction du BE ainsi que les actions communes (harmonieuses) devant être prises en prenant en compte les contraintes de soutenabilité du déficit public, mais aussi l’intervalle de variabilité de l’inflation et du taux de change.

Encore faudrait-il que le Gouvernement construise son Cadre de Dépense de Moyen Terme (CDMT) et effectue les tests de stress nécessaires à cette fin de manière suffisamment scientifique, comme dans plusieurs pays dans le monde. En plus, il faudrait que toutes les mesures de la LF soient sujettes préalablement à des études précises d’impacts sur les recettes, dépenses, soutenabilité, inflation, dépréciation/appréciation.

Plus particulièrement, il s’agit d’ajuster les variations budgétaires cycliques et évaluer l’effet du cycle économique sur les finances publiques.

L’usage de l’ajustement budgétaire est un instrument de stabilisation budgétaire, élargit l’espace fiscale et contribue dans la croissance soutenue. Ceci suppose la mise à niveau de la base de données des finances publiques et le calcul du coefficient budgétaire. Faute de quoi, outre les coûts d’inefficience budgétaire, une inefficacité du régime des prix aurait lieu puisque les entreprises et les ménages seraient menés à des décisions malavisées, en interprétant les fluctuations des prix comme un changement des prix relatifs, ce dont résulte une baisse de la productivité globale comme le montre (Fischer, 1993)6. Tout ceci est possible à effectuer, mais aussi nécessaire.

Ainsi, l’indépendance de la BCT et la coordination des politiques économiques sont des questions purement techniques et ne devraient nullement être politisées. Le ciblage de l’inflation et son annonce au public sont dans le prolongement de l’indépendance de la BCT. Tant que la politique monétaire demeure discrétionnaire comme elle l’est présentement, et la coordination au sens ci-dessus fait défaut, tant que l’indépendance perd sa portée en termes d’efficacité puisque l’encadrement des anticipations des agents deviendrait réduit et les conflits d’intérêt institutionnels auront du mal à se résoudre selon des règles institutionnelles prédéterminées.

L’actuelle fracture institutionnelle exportée vers l’espace médiatique public ne pourrait être interprétée par les agences de notation internationales que négativement, par les investisseurs que par une contrainte additionnelle et par le citoyen lambda que comme un indicateur de fissure au sein de la structure de l’Etat. Elle me rappelle ‘’la décennie perdue’’ au Japon (1991-2001), où les tiraillements entre la Banque du Japon d’une part et les 11 gouvernements instables d’une autre part, autour de ‘’l’indépendance’’ étaient à la Une des médias internationaux, alors que l’économie coulait et se dirigeait vers la lenteur, la déflation et la fin de l’histoire d’un miracle japonais.

2. Un difficile arbitrage entre le Conjoncturel et le Structurel

Sans rappeler que la solution incontournable réside dans la nécessité de cibler une élévation du sentier de croissance économique de moyen terme ; ce qui suppose une mise à contribution de l’Institution comme gisement de croissance du PIB mais aussi et surtout des politiques industrielles (locales) et spatiales et aussi des stratégies commerciales visant les gains dynamiques, cette solution devrait être de mise dès maintenant.

Mais dans le court terme, il s’agit de mesures techniques, voire purement comptables, pouvant être malvenues, pour consolider les finances publiques dans la perspective d’équilibres macro-économiques soutenus.

Cependant, dès lors que le Gouvernement actuel a du mal à boucler le budget de l’année en cours, et que la BCT tient aux textes juridiques limitant son intervention dans le financement de l’économie en crise, et que la coordination à la Euler fait défaut, il convient d’envisager A TITRE INDICATIF des :

(1) Mesures Nécessaires dans le Court Terme (à titre indicatif)

(a) Réduction de la taille du budget : Pour un taux de croissance non-annoncé, curieusement tablé seulement sur (-3.9%) aux prix courants (comme si le taux de l’inflation serait aux alentours de 3.4%7), une réduction de la taille du budget relatif à la LF complémentaire qui augmente étonnamment à 22.3%, dépassant toute norme de rationalisation budgétaire, serait nécessaire. En fait, en gardant les mêmes volumes des rubriques des dépenses salariales (19780 MDT ; soit 38.2% du BE et 17.8% du PIB) ainsi que ceux des ‘’Prêts et avances nets du Trésor’’ et des ‘’Dépenses d’Investissement’’, il serait possible de réduire les autres rubriques d’un maximum de 10% seulement pour en dégager environ 5135 MDT et réduire par là le déficit envisagé dans la LF complémentaire à hauteur de 10167 MDT ; soit 9.16 % au lieu de 13.8% du PIB. Ceci serait possible à l’évidence si les lignes de crédit restantes ne sont jusqu’alors pas effectuées.

Nous voudrions noter que ce type de manœuvre a été effectué en Juin 2013 quand les prévisions intra-annuelles faites par les experts de la présidence du Gouvernement sur le déficit allaient s’élargir à 9.6% au lieu de 5.8% prévus dans le BE. Aussi, il serait possible de mieux cibler les dépenses d’investissement public soumis en Tunisie à ‘’une contrainte d’Investissement’’ (due entre autres à la capacité limitée de l’Etat à dépenser) autour de 6000 MDT seulement, comme l’ont montré les taux d’exécutions des BE des dernières années, expliquant partiellement le blocage/l’arrêt des projets publics qui ne cessent de s’accumuler sans réalisation.

(b) Une campagne médiatique professionnelle en faveur de l’Epargne Publique : l’histoire des crises économiques au moins depuis la deuxième guerre mondiale en Europe et de la Tunisie des années 60’s, a montré la nécessaire mobilisation de la population autour de l’Etat par sa contribution dans le financement du BE. Une offre publique d’obligations de moyen terme (3-4 ans) à des taux et garanties encourageants, accessibles aussi bien aux résidents qu’aux non-résidents, pourrait mobiliser au moins 1500 MDT.

© Une contribution exceptionnelle du système bancaire au Budget de l’Etat avec des rectifications minimales des textes de loi en vigueur :

– 2 % sur les bénéfices des 12 Banques les plus performantes de l’exercice de 2019 donneraient environ 10 MDT ;

– au lieu d’augmenter les BTA proposés par le LFC-2020, ayant a priori des effets potentiels d’évictions sur le financement de l’investissement privé et la demande finale (mais il faudrait le montrer statistiquement), une avance anticipée (juste avant 2 mois de la fin de l’année) de la BCT sur ses bénéfices annuels transférés au Gouvernement pourrait être envisagée ; soit une moyenne des deux dernières années (2019-19 d’environ 700 MDT serait possible à envisager.

(d) rationalisation des dépenses déclarées par les entreprises .

– d’autres mesures plus rigoureuses sur les dépenses déclarées des entreprises (les moyens de transports de luxe, les frais de mission, le change extérieur,…) déductibles des impôts seraient possibles.

– un planning des subventions des entreprises publiques sur 3-4 ans, accompagné de réformes de leur gouvernance sur un délai de 3-4 ans, pourrait alléger la charge budgétaire de cette année.

Nous croyons que les propositions comptables [(a)-(d)] ci-dessus à titre indicatif, faisables dans le très court terme et n’engendrent pas un changement structurel dans les mécanismes institutionnels habituels, pourraient s’ajouter au schéma de financement actuel du BE pour le boucler.

Sans transition aucune, nous croyons qu’il est plein temps que les finances publiques ; soit la raison de l’Etat, soient prises au sérieux entre les mains de spécialistes professionnels à la lumière de la pratique internationale, mais aussi compatriotes. Aussi, une évaluation du Statut de la BCT de 2016 serait recommandée ainsi que celle des choix de politiques économique préalables qui semblent passer outre l’essentiel.

(A suivre…)


Notes

[1] Voir notre analyse du ‘’Conservatisme’’ pour le cas de la Tunisie inLeaders, « Politique Monétaire sous Covide-19 : La Tunisie à la recherche d’un "conservatisme optimal" ».

[2] Rappelons que le déficit primaire est le déficit net de l’intérêt de la dette et des revenus d’actifs financiers et des dons reçus.

[3] Chebbi, A. (2012) : ‘’Appel à une cohésion institutionnelle‘’. Www.turess.com/fr/letemps/62126.

[4] Rappelons que plusieurs typologies d’indépendance sont possibles, à savoir : Légale, Réelle, Organique, Fonctionnelle, De jure, De Facto.

[5] TAP, 25-01-2016.

[6] Fischer, Stanley, 1993, “The Role of Macroeconomic Factors in Growth,” Journal of Monetary Economics, Vol. 32 (December), p. 485–512

[7] En fait, le taux de croissance prévu en 2020 est de (-7.3%)

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