Du nomadisme linguistique à tendance opportuniste…

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S'agissant de la question de notre relation à la langue, dans sa diversité, il devient presque nécessaire de dénoncer une approche qui pollue le débat par son indigence : non, la place qu'occupe une langue dans la culture d'un pays ne se réduit pas aux possibilités qu'elle offre en matière de progrès scientifique et technologique.

Ceux qui considèrent par exemple que le français est battu en brèche dans le monde de la recherche et qui en concluent qu'il est donc possible et même souhaitable de le remplacer par l'anglais dans nos écoles, ces gens-là ne devraient pas s'arrêter en si bon chemin : qu'ils décident aussi que l'arabe doit également être liquidé. A quoi sert-il ?

Il est sûrement moins performant encore que le français du point de vue qui est le leur. Ainsi, nous nous serions dépouillés entièrement de toute identité linguistique et, pour les besoins de maître "Progrès", nous naviguerions gaiement dans une sorte de nomadisme linguistique à tendance opportuniste... qui n'est pas loin d'une forme de nudisme !

En réalité, ceux qui sont si pressés d'expulser le français de notre paysage culturel et qui invoquent pour cela les impératifs de la recherche scientifique ne s'avisent pas de bien prendre la mesure de toutes les possibilités offertes par la langue française en termes de découvertes intellectuelles.

Si la curiosité des choses et du monde était vraiment ce qui les animait, ils verraient que la langue française demeure une porte d'accès à tout un monde d'idées qui ne se résume pas aux dernières théories scientifiques, mais qui ouvre à presque tous les débats de l'heure en matière de sciences humaines et, surtout, à tout ce qui se publie dans le domaine de la réflexion philosophique.

D'ailleurs, si la curiosité les avait amenés jusque-là, ils n'auraient pas manqué de rencontrer sur leur chemin, sinon des traductions, du moins des comptes-rendus d'un auteur allemand dont la pensée sur la langue a marqué les esprits : Wilhelm von Humboldt. C'est à lui - mais pas seulement - que nous devons l'idée que la langue est un monde, et que c'est en elle que nous pensons, non en dehors d'elle ou indépendamment d'elle.

Ce qui signifie que sacrifier une langue, que ce soit l'arabe ou le français, c'est immoler un monde auquel on appartient et que l'on porte en soi... Ils auraient peut-être eu un jour entre les mains un livre de Claude Hagège - natif de Tunisie par ailleurs - qui n'a eu de cesse d'alerter contre l'appauvrissement que représente l'hégémonie de l'anglais dans le monde et d'attirer l'attention sur la gravité de la perte subie par l'humanité du fait de cet état de domination…

Mais la vérité est qu'ils sont moins mus par une saine curiosité que par quelques certitudes et, aussi, par une obscure volonté de revanche, à laquelle ils sont prêts à sacrifier l'âme d'un pays.

Même quand, pour faire bonne figure, ils s'affublent de la casquette nationaliste en prétendant défendre le territoire de la langue arabe, c'est encore avec l'ambition de soumettre cette dernière aux affres d'une transformation modernisante sans merci. Les trésors qu'elle recèle, tout ce qui s'y trouve de métaphores hardies et de trouvailles poétiques pour dire le réel, cela est traité d'une façon qui évoque Tamerlan à Damas…

Bref, il est temps que le démon de la désertification linguistique, qui a trouvé dans quelques âmes dociles et non averties une monture confortable, cesse d'accaparer le débat sur la question de la langue et de s'inviter de façon inopportune avec ses problématiques affligeantes…

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