Sisyphe n’abandonne pas : il montre le chemin

Depuis sa condamnation, les hommages affluent. Beaucoup sont vibrants et sincères ; d’autres, plus ambigus, ressemblent à des adieux prématurés — comme si la prison scellait la fin d’une présence politique. Cette tentation de le déclarer « hors-jeu » — parfois par lassitude, parfois par calcul, parfois par malveillance discrète — est précisément ce que Redissi déconstruit. Il nous rappelle que Néjib Chebbi n’est pas un fantôme du passé : il est un acteur du présent et du futur tunisien.

En revisitant avec la rigueur du chercheur et la clairvoyance du témoin le parcours de Néjib Chebbi, Redissi remet au jour une évidence que d’aucuns préfèrent occulter : on n’efface pas plus de cinquante ans de combat comme on classe un dossier.

Néjib Chebbi n’est surtout pas seul.

L’emprisonnement d’Ayachi Hammami, de Chaïma Issa, de militants de gauche, de figures libérales, d’islamistes ou d’anciens islamistes, de destouriens, de pdlistes et de Néjib Chebbi n’a rien d’un accident : c’est le signe d’un régime qui ne tolère plus aucune voix autonome.

L’arbitraire ne suit plus une logique idéologique, il élimine tout ce qui refuse la soumission.

Le pouvoir ne combat plus des opinions : il neutralise tous ceux qui existent politiquement hors de sa soumission.

Tous ces profils, pourtant profondément différents, sont aujourd’hui réunis dans un même espace coercitif, un même récit judiciaire fabriqué, un même mécanisme d’élimination politique.

C’est cela, précisément, que Redissi permet de comprendre : l’histoire tunisienne avance par cycles où l’autoritarisme tente périodiquement d’anéantir la pluralité en rassemblant dans la même geôle ceux qui n’auraient jamais imaginé s’y retrouver côte à côte.

Ce que certains perçoivent comme une faiblesse — la diversité idéologique des victimes actuelles — est en réalité une preuve éclatante : le pouvoir ne combat pas une doctrine, mais la démocratie elle-même.

À ceux qui prétendent, ouvertement ou en filigrane, que Chebbi « devrait se retirer », que « son temps est passé », que « la Tunisie doit désormais compter sur d’autres forces », l’article de Redissi oppose un rappel cinglant : on ne demande pas à Sisyphe de renoncer lorsqu’il est au pied de la montagne. Surtout lorsque d’autres — jeunes, moins jeunes, islamistes, destouriens, pdlistes, progressistes, indépendants — ont été précipités dans la même pente par le même arbitraire.

C’est pourquoi l’appel implicite de Redissi est précieux : il nous invite à voir dans Chebbi non pas une figure solitaire, mais la partie émergée d’un ensemble de trajectoires qui racontent la même tragédie collective.

Une tragédie dont les protagonistes — si différents, parfois même opposés — se retrouvent aujourd’hui unis par la persécution et par la certitude que la prison n’est pas la fin de leur rôle ; elle en est l’une des pages les plus révélatrices.

Et tant que ces voix demeurent debout — même derrière les barreaux — aucune tentative pour les effacer ou les réduire au silence ne pourra prétendre écrire l’histoire à leur place.

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