La liberté arrachée de Sonia Dahmani et l’ombre persistante des geôles tunisiennes

Il aura fallu un vote du Parlement européen, ce 27 novembre 2025, pour que la voix de Sonia Dahmani retrouve l’air libre. Une heure à peine après que Strasbourg eut adopté une résolution exigeant sa libération, l’avocate et chroniqueuse tunisienne, récemment couronnée par le Prix international de la liberté de la presse, franchissait les portes de la prison.

Ce geste n’est pas dénué de symbolique; la liberté d’une femme réduite au silence par son propre pays n’a été rendue possible que par l’injonction d’une institution étrangère. Le drame se lit en filigrane de chaque geste officiel, et la réalité se fait jour, têtue et indocile. Ce dénouement, que d’aucuns voudraient célébrer comme une victoire de la justice nationale, révèle au contraire la dépendance d’un pouvoir qui ne cède qu’à la pression internationale. Derrière l’apparente magnanimité du geste, se dessine une vérité plus sombre: la Tunisie officielle n’a pas libéré Sonia Dahmani par conviction, mais délibérément sous contrainte.

Les images qui ont suivi sa libération, photos et vidéos diffusées sur les réseaux sociaux, montrent une femme en larmes mais fière et digne, une femme qui porte dans son regard la douleur de l’épreuve et la grandeur de la résistance.

Ses larmes ne sont pas celles de la faiblesse, mais celles d’une victoire arrachée contre l’injustice et celles d’une conscience qui refuse de plier. Et il faut le dire avec force: ce n’est pas sa libération qui l’a rendue héroïne, mais bien son arrestation. Car c’est dans la prison, face à l’arbitraire, que s’est forgée l’image d’une femme debout, symbole d’une liberté confisquée mais jamais vaincue. Et comme un parfum de déjà-vu, cette scène rappelle d’ores et déjà les heures sombres où la parole libre était systématiquement réprimée.

Sonia n’était pas coupable d’un crime, mais d’une parole. Ses critiques sur la gestion des migrants subsahariens, dénonçant un traitement empreint de racisme, lui ont valu l’étiquette infamante de "séditieuse". En vérité, elle n’était qu’une voix parmi tant d’autres, rappelant que la dignité humaine ne se négocie pas.

Ce que révèle son arrestation, puis son élargissement, c’est l’usage pervers du fameux décret 54, brandi à dessein comme une arme contre les journalistes, les opposants et les citoyens libres. Derrière l’aspect juridique, ce texte n’est qu’un instrument de bâillonnement, dénoncé à l’envi par les organisations internationales de défense des droits humains et par les Tunisiens épris de liberté.

Or, la libération de Sonia ne saurait masquer l’évidence: combien de voix demeurent encore enfermées? Combien de journalistes, d’avocats, de militants, croupissent toujours derrière les barreaux pour avoir osé critiquer? Le Parlement européen a parlé pour Sonia, mais qui parlera pour les autres? La question reste suspendue, comme une épée au-dessus de la conscience nationale.

Il est tentant de clamer victoire, de se réjouir que la chroniqueuse retrouve sa liberté et sa famille, peut-être son micro et ses mots. Mais cette victoire est amère. Elle rappelle que la liberté d’expression en Tunisie n’est plus garantie par ses propres institutions, mais tacitement par des pressions extérieures. Elle souligne que la souveraineté proclamée se délite dès lors qu’elle se confronte aux principes universels des droits humains.

Et pourtant, au lieu de se réjouir de cette libération, certains ont choisi la haine. Les commentaires venimeux qui ont envahi les réseaux sociaux, refusant de voir Sonia libre, trahissent une servilité honteuse. Ceux qui se réjouissent de l’emprisonnement des voix dissidentes et des opinions différentes ne sont que les lèche-bottes du pouvoir, les scribes de la répression, incapables de comprendre que la liberté d’un seul n’est que la condition de la liberté de tous.

Plus grave encore, il y a ceux qui se sont tus. Ceux qui, depuis l’arrestation de Sonia, ont gardé un silence complice, préférant l’ombre à la parole, et qui aujourd’hui feignent une joie hypocrite devant sa libération. Leur mutisme prolongé, suivi d’une soudaine effusion de satisfaction, laisse entrevoir les failles d’une lâcheté à la fois politique et morale. Ils n’ont pas défendu Sonia quand elle en avait besoin, et leur posture actuelle n’est qu’un masque opportuniste et une tentative de se placer du côté de l’histoire alors qu’ils ont longtemps choisi le confort de l’oubli.

Sonia est aujourd’hui libre; et c’est une lumière dans la nuit. Mais cette lumière éclaire aussi les chaînes qui entravent encore tant de consciences. Tant que le décret 54 restera en vigueur, tant que les prisons abriteront des voix dissidentes, le pays ne pourra prétendre au concert des nations libres. La libération de Sonia n’est pas la fin d’une histoire, mais le début d’un combat; celui de tous les prisonniers d’opinion, celui de la presse muselée et surtout celui du citoyen libre qui refuse de voir sa parole confisquée.

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