Les Frères musulmans: de la légitimité des urnes à la criminalisation diplomatique

Sous couvert de sécurité internationale, certaines décisions politiques ne font que révéler surtout les jeux d’influence et les calculs géopolitiques. L’annonce de Donald Trump visant à inscrire les Frères musulmans sur la liste noire des organisations terroristes n’échappe pas à cette logique.

Derrière le contexte juridique, ce geste traduit l’empreinte insistante de trois capitales arabes: le Caire, Riyad et Abu Dhabi, déterminées à effacer du paysage régional toute trace de l’islam politique.

Il convient de rappeler que les Frères musulmans ne sont pas apparus par effraction dans l’histoire contemporaine. En Égypte, le mouvement a remporté les élections législatives puis présidentielles, portant Mohamed Morsi au pouvoir en 2012. Ce fut une victoire validée par des observateurs internationaux, symbole d’une transition démocratique fragile mais réelle. En Tunisie, le parti Ennahdha, issu de la mouvance des Frères, participa également à la gouvernance post-révolution, par le biais d’élections pluralistes et transparentes.

Ces expériences, bien que marquées par des tensions et des maladresses, voire des erreurs politiques, témoignent d’une légitimité politique acquise par les urnes et non par la violence. Le Hamas, lui aussi, s’inscrit dans cette filiation; né de la matrice des Frères musulmans, il a conquis une légitimité électorale à Gaza en 2006, avant d’être enfermé dans le carcan de l’isolement et de la diabolisation, sous l’œil vigilant de l’occupant et de ses alliés.

Or, cette légitimité électorale fut rapidement contestée par les régimes voisins. L’Égypte, après le coup d’État de 2013, criminalisa les Frères musulmans et les réduisit au silence par une répression massive. L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis suivirent, inscrivant la confrérie sur leurs listes terroristes et menant une campagne diplomatique acharnée pour convaincre leurs alliés occidentaux d’en faire autant. Leur argument: les Frères musulmans seraient une matrice idéologique du radicalisme et une menace existentielle pour la stabilité des monarchies du Golfe et pour l’ordre régional. Mais derrière ce discours, sécuritaire mais idéologique, se cache une crainte plus profonde; celle de voir l’islam politique, par le biais des urnes, concurrencer la légitimité des régimes héréditaires.

L’épisode éclaire la cohérence d’une ligne; classer les Frères musulmans comme organisation terroriste, c’est offrir un gage à des partenaires du Golfe et renforcer l’axe anti islamiste qui s’étend du Caire à Riyad, tout en ménageant des ajustements tactiques ailleurs. Ce choix soulève pourtant des interrogations: peut on assimiler un mouvement qui a accédé au pouvoir par des élections surveillées et reconnues à une organisation terroriste internationale? La réponse n’est pas strictement juridique, elle est politique.

Elle reflète l’influence des pétrodollars et des alliances militaires sur la définition même du terrorisme, et révèle en filigrane l’impact des pressions pro sionistes dans la région; la criminalisation des Frères musulmans et donc du Hamas sert des intérêts qui souhaitent étouffer les alternatives politico électorales résistantes à l’occupation. Les relations entretenues par certaines capitales arabes avec l’occupant: normalisations, accords économiques et coopérations "sécuritaires", accentuent cette convergence d’intérêts, où la lutte contre l’islam politique devient parfois le masque d’un alignement avec l’occupant.

En réduisant les Frères musulmans à une menace sécuritaire, on occulte la dimension démocratique de leur expérience. Certes, leur gouvernance fut critiquée, parfois maladroite, mais elle s’inscrivait dans un processus électoral inédit dans le monde arabe. La qualification américaine, sous pression de régimes autoritaires et dans le sillage de réseaux d’influence régionaux, revient à fragiliser non seulement un mouvement, mais aussi l’idée que l’islam politique puisse s’exprimer dans un cadre démocratique. L’anathème jeté sur les Frères musulmans et, par ricochet, sur le Hamas, dépasse la condamnation d’un groupe; il s’apparente à une mise en garde adressée à toute tentative de concilier islam et démocratie dans la région.

Le classement des Frères musulmans comme organisation terroriste illustre moins une analyse objective de la menace qu’une victoire diplomatique du Caire, de Riyad et d’Abu Dhabi, en résonance avec les intérêts de l’appareil de guerre sioniste. Il révèle la fragilité des expériences démocratiques arabes, où la légitimité des urnes peut être balayée par la realpolitik et les alliances financières.

En définitive, ce n’est pas seulement l’avenir des Frères musulmans ou du Hamas qui se joue, mais celui de toute une région où la démocratie reste suspendue aux injonctions des puissances et aux calculs des grandes capitales.

Or une contradiction s’inscrit dans ce paysage diplomatique présenté comme inédit; la réception à la Maison Blanche, le 10 novembre dernier, d’Ahmed al Charaa, décrit par certains médias comme président syrien par intérim et, fait hautement contradictoire, connu sous son nom de guerre Al Joulani, ancien chef de HTS, organisation désignée terroriste par Washington.

Cette juxtaposition; accueillir, sous protocole, un interlocuteur affublé d’un passé placé au cœur des dispositifs antiterroristes américains, met à nu la plasticité de cette realpolitik. L’ennemi idéologique d’hier se voit assigner, l’espace d’une photo, la respectabilité d’un partenaire, tandis que l’appareil normatif (sanctions César), demeure officiellement inchangé.

Qu’on y voie une inflexion tactique ou un pur théâtre, la contradiction demeure frontale; criminaliser l’islam politique à travers les Frères musulmans et le Hamas, tout en ouvrant une porte latérale à une figure associée à HTS, revient à redéfinir à géométrie variable l’orthodoxie antiterroriste au gré des alignements régionaux et des intérêts immédiats. Mais une certitude demeure aussi; tout se joue au bénéfice exclusif des États-Unis. Même si l’on réduit à néant toute perspective démocratique dans les pays arabes.

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