Sous les voûtes solennelles du Parlement, la ministre de la Justice, Leïla Jaffel, a choisi l’arme du sarcasme pour répondre aux inquiétudes soulevées par les grèves de la faim des détenus politiques.
Ses mots, lancés avec une désinvolture presque théâtrale, ont résonné comme une provocation: "ceux qui prétendent jeûner, mangent en cachette", a-t-elle affirmé, allant jusqu’à suggérer que certains se nourriraient dans des lieux indignes (les WC).
Derrière l’effet de manche, derrière le rire qui ponctuait ses phrases, se dessine une stratégie discursive qui mérite d’être interrogée. Car nier la souffrance ne l’efface pas, et tourner en dérision la fragilité des corps ne saurait masquer la gravité d’une situation où la vie elle-même est mise en jeu.
L’analyse logique et objective de ses propos révèle une tension flagrante entre le discours officiel et la réalité vécue. Si les détenus refusaient réellement les examens médicaux, comme elle l’a insinué, cela ne prouverait pas l’absence de grève mais au contraire la volonté de préserver la cohérence de leur geste de protestation. L’argument se retourne donc contre lui-même; ce refus témoigne d’une détermination et non d’une supercherie. De même, qualifier les alertes des avocats et des organisations de "fausses nouvelles" revient à délégitimer toute parole extérieure et à enfermer la vérité dans le seul récit institutionnel. Or la vérité, par définition, ne se décrète pas; elle se confronte, se vérifie et se mesure à la pluralité des témoignages et des faits.
Ce qui frappe dans cette intervention, ce n’est pas seulement le contenu mais le ton. Le rire, la moquerie, l’ironie déplacée face à des corps affaiblis, traduisent une posture de pouvoir qui préfère ridiculiser plutôt que dialoguer. C’est une rhétorique de domination, où l’autorité se croit renforcée en niant la vulnérabilité. Mais l’effet produit est inverse. Plus la ministre nie, plus la souffrance s’impose comme évidence. Plus elle raille, plus la gravité de la situation se révèle, car le décalage entre la parole officielle et la réalité devient insoutenable.
La logique, ici, est implacable; si les détenus ne sont pas en danger, pourquoi tant d’efforts pour minimiser leur geste? Si les grèves de la faim ne sont qu’une mascarade, pourquoi mobiliser le Parlement pour les tourner en dérision? La disproportion entre la légèreté du ton et la gravité du sujet dévoile une vérité que le discours officiel ne peut étouffer; il existe bel et bien une crise des droits et des libertés, et elle se manifeste dans les corps affamés, dans les voix étouffées et dans les récits que l’on tente de disqualifier.
Ce discours, en réalité, s’inscrit dans une logique plus large de déni institutionnel. Il ne s’agit pas seulement de nier un fait ponctuel, mais de construire une narration où l’État se présente comme seul détenteur de la vérité et où toute voix dissidente est réduite au rang de mensonge ou de manipulation. C’est une mécanique classique des régimes qui craignent l’érosion de leur légitimité; transformer la souffrance en fiction, et la contestation en comédie.
Mais cette mécanique se heurte à une contradiction fondamentale; plus on nie la douleur, plus elle devient visible et plus elle s’impose comme scandale. La parole officielle, en cherchant à effacer, finit par révéler.
Ainsi, au-delà des mots de la ministre, c’est le silence des corps qui parle, c’est la logique de la souffrance qui impose sa vérité. On peut nier, on peut railler, mais on ne peut effacer la réalité d’une protestation qui met en jeu la vie elle-même. Et c’est là que le droit rejoint l’éthique; la justice ne se mesure pas à la force des sarcasmes, mais à la capacité de reconnaître la dignité humaine, même lorsqu’elle dérange.
En définitive, l’intervention de Leïla Jaffel ne révèle pas la faiblesse des détenus, mais celle d’un pouvoir qui, faute d’arguments, recourt au rire et à la moquerie pour masquer ses propres contradictions. Car si les corps s’épuisent, la vérité, elle, se régénère dans l’indignation des consciences. Et c’est là toute sa force; elle ne cède pas, elle ne s’éteint pas, elle ne meurt pas de faim.