L’affaire de Jaouhar Ben Mbarek, figure de l’opposition tunisienne et membre fondateur du Front de Salut National, illustre avec une brutalité glaçante l’état de délitement du débat politique et des institutions dans le pays.
Sa sœur, Dalila Ben Mbarek, a dénoncé publiquement dans une vidéo des violences subies par son frère en prison: coups, ecchymoses, perte de connaissance, voire fracture. Les avocats, à l’instar de Hanan Khmiri, ont saisi la justice en parlant de "crime de torture", insistant sur le fait que l’agression s’est produite alors que l’opposant menait une grève de la faim pour protester contre sa détention prolongée.
Face à ces accusations, la Direction générale des prisons et de la rééducation a opposé un démenti catégorique. Selon elle, il ne s’agit que de "rumeurs", et l’état de santé des détenus grévistes serait suivi de près par le personnel médical. Cette rhétorique officielle, répétée à chaque scandale, vise à neutraliser l’indignation publique en réduisant les témoignages à de simples intox.
Au-delà du cas individuel, c’est tout un climat de répression qui se dessine. Depuis février 2023, Jaouhar Ben Mbarek est incarcéré dans le cadre d’une vague d’arrestations visant des opposants, des journalistes et des militants. L’épisode de violence en prison, qu’il soit reconnu ou nié, révèle une logique plus large; celle d’un pouvoir qui cherche à briser les voix dissidentes, à les réduire au silence par l’intimidation physique autant que par l’étouffement judiciaire.
Qu’il y ait eu coups ou non, le simple fait que de telles accusations circulent et trouvent écho dans la société est déjà un symptôme alarmant. Dans un État de droit, la transparence et la responsabilité devraient être la règle. Or c’est l’opacité qui domine; les familles crient au scandale, les avocats parlent de torture, les autorités nient en bloc. Entre ces récits contradictoires, c’est la confiance dans les institutions et dans l’espace public qui s’effondre.
La prison devient ainsi le miroir d’un système politique où la violence symbolique et physique s’entremêlent. Derrière les murs, on tente de briser les corps. À l’extérieur, on tente de briser les esprits. Dans les deux cas, c’est la démocratie qui s’étiole. L’affaire Ben Mbarek n’est pas un incident isolé; elle est le révélateur d’une dérive autoritaire qui gangrène la Tunisie. Les autorités peuvent nier, mais les cicatrices visibles sur les corps et les consciences ne disparaîtront pas. Tant que la vérité sera bâillonnée derrière les barreaux, c’est l’ensemble du pays qui restera prisonnier.
Dans ce combat, la figure du père de Jaouhar incarne une solidarité inébranlable et un soutien sans condition. Sa présence, attristante mais ferme, rappelle que la lutte ne se mène pas seulement dans les arènes politiques ou judiciaires, mais aussi dans le lien familial qui refuse de céder à la peur. En se tenant aux côtés de son fils, il porte la voix de tous ceux qui croient encore en la dignité et en la justice, et son engagement devient un acte de résistance autant qu’un témoignage d’amour indestructible.