Dans un pays où la tyrannie est de retour et où le despotisme reprend ses droits, un journaliste n’est pas un simple témoin des faits, mais un insurgé de la vérité qui ose défendre, dire et écrire ce que le pouvoir voudrait effacer.
Dans un pays verrouillé par la peur et la haine, où chaque mot peut devenir une accusation et chaque phrase une condamnation, le journaliste véritable se distingue non par la prudence de ses mots, mais par le courage de ses questions. Car informer, dans un tel contexte, ce n’est pas encombrer l’actualité de banalités inoffensives, mais creuser dans l’obscurité du mensonge officiel pour en extraire une vérité fragile et menacée, mais nécessaire.
Un journaliste n’est donc pas un donneur de leçons, ni un clown chargé de distraire la foule. Il est celui qui doute, qui interroge, qui refuse la facilité des certitudes et des slogans imposés.
Dans un pays où la propagande se déguise en information et où la peur supplante la vérification, le journaliste est un artisan de résistance, un guetteur de fissures dans le mur du silence. Sa tâche n’est pas de répéter plus fort que les haut-parleurs du pouvoir, mais de tendre l’oreille aux murmures étouffés, de poser la question interdite, de rappeler que le réel ne se réduit pas à la version officielle.
Or, la confusion est immense. Les journaleux, ces scribouillards serviles, prolifèrent comme des ombres dociles. Ils se nourrissent des communiqués, se repaissent des discours, confondent l’obéissance avec la loyauté. Ils ne cherchent pas à éclairer mais à flatter le pouvoir et à prolonger l’illusion. Ils ne sont pas journalistes, mais relais de propagande, et leur abondance menace d’étouffer la voix de ceux qui, patiemment, clandestinement, travaillent à comprendre et à transmettre.
Être journaliste sous la tyrannie, c’est donc accepter une forme d’ascèse et de risque. C’est refuser la posture du courtisan, du laquais, du polémiste apprivoisé, du donneur de leçons convenues. C’est préférer la question à la certitude imposée, le doute à l’endoctrinement, la complexité à la simplification mensongère. C’est aussi, et paradoxalement, se battre pour exister dans un espace public confisqué, où tout valorise l’inverse; l’unanimité, le spectaculaire, le simpliste. Le journaliste n’est pas celui qui suit la foule apeurée, mais celui qui s’en détache, qui ose dire "je ne crois pas", qui rappelle que la vérité est un chemin de résistance et non un décret.
En ce sens, le journaliste ressemble à un veilleur dans la nuit de la censure. Il ne promet pas la lumière du jour, certes, mais il garde la flamme fragile de l’esprit critique. Il ne prétend pas sauver le pays, mais il refuse de l’abandonner aux illusions du pouvoir. Et dans le tumulte des mensonges d’État, il demeure celui qui, obstinément, cherche à distinguer le bruit de la propagande des murmures du réel.
Dans ces temps de plomb, le véritable intellectuel doit partager cette responsabilité. Sa mission n’est pas de se réfugier dans l’abstraction, mais de mettre son savoir, sa voix, sa plume et sa pensée au service de la vérité. Dévoiler ce que le pouvoir voudrait dissimuler, c’est là que se joue toute la frontière entre un intellectuel et un porte-voix de propagande.
C’est dans cette tension, dans ce refus de l’accommodement, que se mesure la dignité d'un homme libre. L’intellectuel, qu’il soit journaliste ou écrivain, professeur ou chercheur, avocat ou médecin, n’a pas pour vocation de plaire, mais de déranger, de dévoiler, de rappeler que la pensée libre est la première barricade contre la servitude et le larbinisme.