Burevestnik : le game changer de la Russie

En 2016, lors de l’annonce du premier test du missile hypersonique russe Zircon capable de voler à Mach 5, j’ai écrit un article pour Megachip dans lequel j’expliquais que nous étions face à une arme « game changer », c’est-à-dire capable de modifier les équilibres, notamment dans les océans, puisqu’il s’agissait d’un missile essentiellement conçu pour la guerre maritime et capable de mettre en péril la supériorité navale des États-Unis. Ces derniers – comme nous le savons – disposent d’une immense flotte répartie en puissants groupes d’attaque dirigés par des super porte-avions, mais ne possèdent aucune défense contre des missiles volant à des vitesses hypersoniques.

Cette annonce, à mon sens, fut le premier signal d’alarme pour l’hyperpuissance hégémonique américaine : il existait des pays capables de lui infliger des dégâts énormes dans une guerre conventionnelle, sans avoir besoin de brandir la menace nucléaire.

Autre facteur aggravant : le Zircon menaçait (et menace toujours) la supériorité américaine en mer, qui est la pierre angulaire de la puissance militaire des États-Unis. Ce n’est pas un hasard si les géopoliticiens ont toujours défini les États-Unis comme une thalassocratie, c’est-à-dire une puissance fondée sur la domination commerciale et militaire des mers.

La chance des États-Unis est que la Russie n’est pas elle-même une thalassocratie, et n’a donc jamais réellement misé sur ce missile hypersonique pour la guerre maritime, ni construit autour de lui une flotte capable de contrer les forces navales américaines.

Le cas de la Chine est différent : ces dernières années, elle a développé ses propres missiles hypersoniques pour la guerre en mer. Il s’agit des missiles YJ-21 et YJ-19, capables de frapper les navires ennemis avec grande vitesse et précision. De plus, la Chine déploie activement ces systèmes sur ses navires de surface, comme les destroyers Type 055. Inutile de dire que la flotte chinoise comble rapidement le fossé avec celle des États-Unis, que Pékin peut désormais défier ouvertement dans tout le Pacifique, tant par le nombre de navires mis en ligne que par les armes qu’elle peut utiliser, comme les missiles YJ-21 et YJ-19.

Pendant ce temps, les États-Unis ont accumulé un retard désastreux dans ce domaine stratégique de la recherche militaire. À ce jour, ils ne disposent d’aucun missile hypersonique en dotation dans leurs forces armées. Le premier – lancé depuis la terre – sera probablement le Dark Eagle, qui selon les rumeurs, atteint Mach 6 et a une portée d’environ 2500 km. En revanche, pour un missile lancé depuis une plateforme maritime, il faudra encore attendre quelques années.

Ce retard américain dans ce secteur hautement stratégique de la recherche militaire compromet non seulement l’hégémonie militaire de Washington en mer, mais témoigne aussi du fait que la recherche militaire américaine n’est plus à la pointe mondiale. C’est un signe irréversible de déclin.

Cette trajectoire a été confirmée par l’annonce spectaculaire faite hier par Vladimir Poutine lors d’une visite au Groupement Unifié des Forces Armées de la Fédération de Russie : la Russie dispose désormais d’un missile de croisière nucléaire à portée pratiquement illimitée.

Le test final de ce missile, nommé Burevestnik, a eu lieu le 21 octobre. Il a parcouru 14 000 km et est resté en vol pendant 15 heures. Comme l’a souligné le chef d’état-major des Forces Armées russes, Valery Gerasimov, « ce n’est pas la limite ».

Selon les premières informations, le missile a effectué toutes les manœuvres verticales et horizontales prévues pendant le vol, démontrant ainsi sa grande capacité à échapper aux systèmes de défense aérienne et antimissile. « Les caractéristiques exceptionnelles du Burevestnik permettent de l’utiliser avec une précision garantie contre des cibles hautement protégées, n’importe où sur la planète », peut-on lire dans le communiqué.

D’après les données disponibles, le missile vole à une vitesse comprise entre 800 et 1300 km/h, à une altitude de 25 à 100 mètres, en suivant le relief du terrain. Son principal avantage réside dans son autonomie de vol illimitée, assurée par un moteur nucléaire à réaction. Cela permet notamment d’atteindre le territoire continental des États-Unis depuis n’importe quelle direction, en contournant les zones de défense aérienne et antimissile.

En ce qui concerne son entrée en service et son déploiement, les lanceurs du Burevestnik feront partie des Forces Stratégiques Missiles, puisqu’il s’agit de missiles terrestres.

Comme on peut facilement le deviner, il s’agit d’un véritable « game changer » qui rend même obsolète le concept de portée du missile, et rend caducs tous les systèmes antimissiles conçus pour intercepter des missiles à trajectoire balistique, mais totalement impuissants face à des missiles volant au ras du sol.

C’est une arme redoutable qui garantit à son détenteur la possibilité de mener (ou du moins de menacer, par le simple fait de les posséder) une attaque dite « first strike », c’est-à-dire une frappe capable d’infliger des dégâts décisifs et inacceptables à l’ennemi, réduisant sa capacité de riposte. Bien sûr, tout dépend du nombre de ces missiles mis en ligne, mais selon les experts, en disposer de plus de 50 suffirait à atteindre cet objectif.

Quel pourrait être l’effet politique de cette annonce ? Elle pourrait pousser les États-Unis à une course aux armements pour tenter de combler le fossé qui s’est creusé avec la Russie.

Il est en revanche peu probable qu’elle pousse Washington à une négociation sérieuse menant à un accord de sécurité, comme le demandent les Russes depuis de nombreuses années. Une négociation placerait les États-Unis dans une position de faiblesse, tant sur le plan militaire qu’économique, et Washington ne s’assiéra jamais à la table dans une telle situation.

Enfin, il faut dire que l’Europe ne joue aucun rôle dans cette partie liée à la recherche scientifique appliquée à la défense, et que l’OTAN apparaît de plus en plus comme un ornement inutile, surtout pour les Américains qui devront concentrer toutes leurs ressources sur la recherche scientifique et la défense de leur propre continent, abandonnant leurs vassaux à leur sort.

Après tout, si les Russes ont déployé un missile qui rend obsolètes les concepts de portée et d’espace, à quoi bon pour les Américains de s’intéresser à l’espace européen, en crise économique, en retard technologique abyssal, et désormais même incapable de jouer le rôle de « première ligne » dans un éventuel conflit entre la Russie et les États-Unis ?

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