Ce jeudi, le président Donald Trump devrait rencontrer le dirigeant chinois Xi Jinping en marge du sommet de l’APEC à Séoul. L’objectif : apaiser les tensions commerciales croissantes et envisager un « Grand Accord » entre les deux superpuissances mondiales.
Les enjeux sont considérables. Le paquet de mesures en discussion pourrait couvrir le contrôle du fentanyl, le commerce, les restrictions à l’exportation, les étudiants chinois, et même la stratégie chinoise de fusion civilo-militaire. Ce serait l’effort le plus ambitieux depuis des années pour réinitialiser les relations entre Washington et Pékin. Et cela pourrait réussir — ou s’effondrer — sous le poids de ses propres ambitions.
Commençons par le fentanyl. Les opioïdes synthétiques tuent désormais plus d’Américains chaque année que les accidents de voiture ou la violence par armes à feu. Une grande partie de la chaîne d’approvisionnement semble commencer en Chine, où les précurseurs chimiques circulent sur les marchés mondiaux avec peu de contrôle.
Si Pékin décidait de sévir sérieusement, l’impact humain serait énorme. Des milliers de familles américaines pourraient être épargnées par le drame de l’overdose. Mais voici le dilemme : la Chine a malheureusement traité la lutte contre la drogue comme une monnaie d’échange. Toute coopération viendra probablement à un prix — allègement des tarifs douaniers, accès technologique, ou concessions ailleurs. Autrement dit, Pékin pourrait sauver des vies américaines, mais uniquement selon des conditions qui servent aussi ses objectifs stratégiques.
Le commerce est un autre pilier. Le déficit commercial des États-Unis avec la Chine reste obstinément élevé, alimenté par les subventions étatiques et les barrières au marché. Et la décision de la Chine d’imposer des contrôles à l’exportation sur ses terres rares — imitant en quelque sorte la règle américaine sur les produits étrangers — a exaspéré le président, qui menace désormais d’imposer des tarifs de 100 % sur les produits chinois.
Mais il existe une voie relativement simple pour éviter que ces tensions ne dégénèrent en un restrictionnisme excessif : un bon accord. Trump a toujours excellé dans le langage des négociations, et cette rencontre lui offrirait l’occasion de se présenter comme le seul dirigeant capable d’affronter Pékin.
Le schéma est connu : plus d’accès pour les exportateurs américains, plus d’achats de produits américains par la Chine. Mais le souvenir de l’accord « Phase Un » de 2020 plane sur les discussions. À l’époque, la Chine avait promis des achats massifs qu’elle n’a jamais réalisés. Sans mécanisme crédible de mise en œuvre, un nouvel accord commercial risque de n’être qu’un communiqué de presse. Des rumeurs circulent, évoquant des scénarios étranges comme l’achat par la Chine de 500 avions Boeing, en échange de l’accueil de 600 000 étudiants chinois aux États-Unis.
La pièce la plus difficile du puzzle pourrait être la technologie. Washington a renforcé les contrôles à l’exportation sur les semi-conducteurs et les outils d’IA avancés, invoquant la crainte que la fusion civilo-militaire chinoise brouille la frontière entre innovation privée et pouvoir étatique. Pékin y voit un encerclement ; Washington parle de défense.
Il est difficile d’imaginer un compromis clair ici. Une partie voit une question de survie ; l’autre, une lutte pour la suprématie. Au mieux, les diplomates pourraient définir des zones limitées de coopération — par exemple sur l’IA médicale ou l’énergie propre — tout en traçant des lignes rouges plus nettes ailleurs. L’activation du STA renouvelé via 2 ou 3 initiatives modestes de collaboration scientifique sous une politique d’« ouverture intelligente » pourrait être une approche utile pour instaurer la confiance. Mais il faut garder à l’esprit que la question technologique à elle seule pourrait faire échouer tout accord plus large.
Trump, de son côté, aime le spectacle. Une négociation directe présentée comme l’art du deal sur la scène mondiale correspond à ses instincts. Mais le style ne peut remplacer le fond. Si le sommet ne produit que des promesses vagues, l’effet politique s’estompera rapidement, et les tensions structurelles reviendront probablement.
Pourquoi Xi envisagerait-il un tel accord ? La réponse réside dans les vents contraires que connaît la Chine. Après le Covid, l’économie chinoise reste morose. Le secteur immobilier est en crise. Les investisseurs mondiaux sont méfiants. Une trêve significative avec Washington, même partielle, pourrait stabiliser les marchés, stimuler les investissements étrangers et donner du temps pour les réformes internes prévues dans le 15e plan quinquennal chinois.
Mais Xi ne peut apparaître faible. Comme pour Trump, chaque concession doit être perçue comme une réciprocité, non une capitulation. La Chine présentera les contrôles sur le fentanyl comme une contribution à la sécurité mondiale, les ajustements commerciaux comme un moteur de croissance, et toute discussion sur les exportations comme une préservation de la souveraineté. La chorégraphie comptera autant que le contenu.
Regrouper autant de sujets est audacieux — mais risqué. Une percée sur le fentanyl pourrait être compromise par une impasse sur la technologie ou les terres rares. Une concession commerciale pourrait être éclipsée par une méfiance militaire persistante. Les négociations de cette ampleur échouent souvent parce que le succès dans un domaine est conditionné par l’échec dans un autre.
L’histoire diplomatique offre une leçon : le gradualisme fonctionne mieux. La guerre froide a été gérée par des accords progressifs sur les armements, non par des réinitialisations spectaculaires. L’accord nucléaire initial avec l’Iran se concentrait uniquement sur l’enrichissement, pas sur le comportement régional. Les grands accords font les gros titres, mais tiennent rarement.
Pourtant, l’urgence est réelle. Le fentanyl tue des Américains. Les frictions commerciales sapent l’économie mondiale. La rivalité technologique alimente les craintes de conflit. Si Washington et Pékin ne trouvent pas un terrain d’entente, même partiel, l’alternative est une spirale de méfiance qui pourrait entraîner le monde vers une confrontation, voire un crash économique.
Pour les Américains ordinaires, les enjeux sont concrets. Une mère dans l’Ohio qui perd son fils à cause d’une overdose ne se soucie pas des tarifs douaniers. Un agriculteur dans l’Iowa qui ne peut vendre ses graines de soja à la Chine ne se soucie pas des règles sur les semi-conducteurs. Un accord qui atténue ces pressions aurait une résonance bien au-delà de Washington.
Pour le monde, les enjeux sont encore plus grands. Si les États-Unis et la Chine parviennent à gérer leur rivalité sans glisser vers la guerre, cela établit un précédent pour la compétition entre grandes puissances au XXIe siècle. Sinon, le reste du globe devra naviguer dans un ordre de plus en plus instable.
Les pourparlers de Séoul mettront à l’épreuve la volonté des deux gouvernements de privilégier la diplomatie plutôt que la confrontation. Le succès ne signifiera pas une amitié globale. Il signifiera la coexistence : des garde-fous, des mécanismes de mise en œuvre, et des accords partiels qui empêchent la relation de sombrer dans la crise.
À l’heure actuelle, la tentation pour Trump et Xi semble être de viser les gros titres. Mais ce qui compte le plus, c’est la durabilité. Mieux vaut un accord modeste qui tient qu’un grand accord qui s’effondre. Le monde n’a pas besoin de théâtre. Il a besoin d’une base pour gérer la relation la plus importante de notre époque.
Les dirigeants du monde entier retiennent leur souffle.