La conspiration; voilà le mot magique, la formule incantatoire qui justifie tout et surtout l’inaction.

À Carthage hier, le décor était solennel: le président de la République recevait dans son bureau la cheffe du gouvernement.

On aurait pu croire qu’il allait enfin prendre à bras-le-corps la catastrophe écologique qui ravage Gabès. Mais non. Au lieu de parler du groupe chimique polluant, de Gabésiens mourants et de solutions concrètes, le chef de l’État a préféré se réfugier dans la poésie! Des vers préislamiques et omeyyades, déclamés avec emphase, comme si les émanations toxiques pouvaient être dissipées par la métrique arabe.

Ce n’est pas la première fois que le président confond tribune politique et récital littéraire. Mais cette fois, le contraste est saisissant; pendant que les habitants de Gabès suffoquent, Kaïs Saied s’évade dans les nuées de la rhétorique. Et, fidèle à son refrain favori, il désigne encore et toujours "les conspirateurs" comme responsables des manifestations à Gabès. La conspiration; voilà le mot magique, la formule incantatoire qui justifie tout et surtout l’inaction.

Car derrière cette obsession du complot se cache une réalité plus triviale: l’incapacité du régime à résoudre les dossiers qu’il promettait de régler depuis des années. À défaut de bâtir un État de droit, on a bâti des prisons pour les opposants. À défaut de réformer, on a rédigé une Constitution qui concentre tous les pouvoirs entre les mains d’un seul homme. Et à défaut de gouverner, on répète des slogans creux dans une langue de bois qui se veut classique mais qui sonne vide.

Le président ressemble de plus en plus à un automate politique détraqué, programmé pour répéter les mêmes refrains. Chaque critique est aussitôt classée comme trahison, chaque opposition réduite à une félonie et chaque problème transformé en machination. Sa rhétorique toutefois tourne à vide: complot, trahison, décennie noire.

Et pourtant, c’est bien son règne qui ajoute une couche d’obscurité à l’histoire récente du pays. Si la "décennie noire" fut un gouffre, ses années de pouvoir absolu ressemblent à une nuit sans aube. La Tunisie n’avance plus, elle piétine dans l’ombre, étouffée par un pouvoir qui préfère les incantations aux solutions, la prison aux institutions, et la poésie hors sujet à la politique responsable.

Quant à la cheffe du gouvernement, spectatrice captive de ce théâtre absurde, elle semblait incarner malgré elle la question que beaucoup se posent: pourquoi avoir accepté de porter une telle charge sous un régime aussi maladroit?

En somme, Gabès suffoque, Carthage déclame, et la Tunisie étouffe.

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