Moneta, le terme latin dont notre mot dérive, vient de moneo, « se souvenir, penser », et était à l'origine la traduction du grec Mnemosyne, qui signifie « mémoire ». Moneta devint ainsi à Rome le nom du temple où l'on célébrait la déesse de la mémoire et où l'on frappait la monnaie.
C'est à partir de ce lien étymologique entre la monnaie et la mémoire qu'il convient d'examiner la reprise actuelle des discussions sur l'abolition de la monnaie unique européenne et le retour de chaque pays à sa monnaie traditionnelle.
Derrière la question urgente de la « monnaie » se cache une question tout aussi urgente, celle de la mémoire, c'est-à-dire rien de moins que la redécouverte de la mémoire propre à chacun des pays européens qui, en renonçant à leur souveraineté sur leur monnaie, ont, sans s'en rendre compte, en quelque sorte abrogé leur propre patrimoine mémoriel.
Si la monnaie est avant tout le lieu de la mémoire, si dans la monnaie, dans la mesure où elle peut tout payer et tout remplacer, il en va de même pour l'individu et pour la collectivité du souvenir du passé et des morts, il n'est alors pas surprenant que dans la rupture du rapport entre passé et présent qui définit notre époque, le problème monétaire émerge avec une urgence incontournable.
Quand un éminent économiste déclare que le seul moyen pour la France (comme peut-être tous les pays européens) de sortir de la crise est de reprendre le contrôle de sa monnaie, il suggère en réalité à ce pays de renouer avec sa mémoire.
La crise de la communauté européenne et de sa monnaie, qui est désormais imminente, est une crise de la mémoire, et la mémoire – il ne faut pas l'oublier – est pour chaque pays un lieu éminemment politique. Il n'y a pas de politique sans mémoire, mais la mémoire européenne est tout aussi inconsistante que sa monnaie unique.