Il semble que l'hostilité américaine à l'égard du pouvoir tunisien ait pris une tournure nouvelle. Il n'est question pour l'instant que d'un projet de loi qui s'affiche sous la volonté de rétablir la démocratie en Tunisie. Laissons à certains le plaisir de la vaine rhétorique qui parle d'un projet de loi tunisien visant le rétablissement de la démocratie en Amérique... Si l'initiative des deux élus américains, l'un républicain, l'autre démocrate, devait aller à son terme, c'est à un bras de fer autrement plus sérieux que nous devrions assister.
Faut-il s'en réjouir ? Non. Nous n'attendons rien d'un pays qui ne cesse de montrer que sa puissance n'est pas mise au service de la justice dans le monde. Nous n'attendons rien d'un pays où la démocratie, c'est vrai, ne cesse de son côté de subir des atteintes que l'on ne pensait pas possibles tant elles sont graves.
Les sanctions contre la Tunisie qui pourraient être prises à l'issue du processus législatif engagé dussent-elles aboutir au rétablissement chez nous de la démocratie que ce serait une situation encore plus détestable que ce que nous vivons actuellement.
Mais si nous n'attendons rien de ce projet de loi américain, que ce pouvoir qui a saccagé la démocratie en ce pays n'attende rien de nous pour sa défense.
Qui sera finalement notre recours ?
Qui sera finalement notre recours dans cette situation où nous sommes pris en tenaille entre un ennemi de l’extérieur qui prétend nous vouloir du bien et un ennemi de l’intérieur qui, lui, ne cache pas ses intentions en jetant en prison tout ce qui constitue pour lui une menace potentielle ?
La question s’impose en effet : qui pourra nous venir en aide ? Personnellement, je n’ai pas la réponse. Mais je pense qu’il y a des postures fâcheuses à éviter et des postures heureuses à adopter. Les postures fâcheuses sont celles qui nous poussent à nous fabriquer inutilement des ennemis parmi des hommes et des femmes qui pourraient être nos alliés.
Il est vrai qu’il existe chez le Tunisien en général, et chez l’intellectuel tunisien en particulier, un trait de caractère psychologique voulant que l’on n’affirme sa personnalité face à autrui que dans le rejet de telle ou telle frange du pays et de ses hommes. C’est une coutume malheureuse, qui trahit une sorte d’indigence de la cervelle, mais qui est particulièrement tenace chez beaucoup d’entre nous et qui, en tout cas, ne se laisse pas abandonner si facilement.
Se fabriquer des ennemis parmi des gens qui pourraient nous servir d’amis, ce n’est pas seulement se condamner à une situation de faiblesse, c’est aussi fermer la porte à toute possibilité de recevoir du soutien. Parce qu’on se complait dans la société de l’entre-soi et qu’on entretient la suspicion à l’égard de tout ce qui vient d’en dehors du cercle de ses « semblables ».
Quant aux postures heureuses, je dirais que ce sont celles qui, à l’inverse, se mettent à l’affût de tout ce qui peut constituer demain un soutien politique, que ce soit à l’intérieur du pays ou à l’extérieur. Il ne s’agit ni de chercher à plaire pour gagner la sympathie de l’autre, ni de se lancer dans une activité artificielle de fabrication de « réseaux » dans un esprit d’opportunisme. Il s’agit de susciter des amitiés, en bravant les frontières, qu’elles soient idéologiques ou géographiques. L’Internet y pourvoit : c’est une chance que nous ne devons pas négliger.
Il faut avoir la patience du paysan qui sème et qui laisse faire le travail des saisons avant de récolter. Les solutions toutes prêtes sont rarement les meilleures. Celles qui ont mûri dans le rêve et dans l’échange acquièrent au contraire une force de résistance que l’adversité ne vainc pas... Fût-elle celle qu'oppose la dictature.