En matière d’aberrations bureaucratiques, c’est bien connu, notre pays n’a rien à envier aux autres, bien au contraire. On peut même dire qu’il fait preuve d’une inventivité remarquable.
Songez donc : pour les besoins d’une contre-analyse effectuée par l’Office des céréales, un agriculteur de la région de Bizerte se trouve obligé de pénétrer une « zone frontalière », avec toutes les mesures policières et douanières que cela implique. Et pour peu que vous n’ayez pas reçu les faveurs de l’agent de garde à l’entrée, parce que vous n’avez pas vous-même aimé la manière goguenarde et désinvolte avec laquelle il vous a jaugé, attendez-vous à un parcours du combattant.
Cela commence par l’obtention d’une autorisation d’accès en se rendant à quelques centaines de mètres de là. Autorisation qui n’est d’ailleurs pas gratuite et qui nécessite de faire la navette entre deux bureaux et un comptoir. Cette démarche est obligatoire, même si l’agent susmentionné vous a à la bonne. Là où, en revanche, il va montrer tout le pouvoir qui est le sien, c’est quand il va exiger que l’autorisation en question soit signée par la police et par la douane dans des bureaux situés à l’intérieur de la zone portuaire.
Nouvelle chevauchée sous le soleil d’une ou deux centaines de mètres à travers les hangars pour obtenir les signatures et les cachets. Une fois cela terminé, et bien sûr sans espérer le moindre renseignement sur l’itinéraire, on peut entamer l’ultime balade en zigzaguant à travers des amoncellements de ferrailles et autres marchandises improbables, dans un décor qui évoque certains films de science-fiction, jusqu’à arriver dans la partie réservée à l’Office des céréales. Là, on se contentera de vous faire à nouveau signer un papier et de vous décharger de votre sac d’échantillon en vous déclarant qu’on vous donnera plus tard le résultat de la contre-analyse…
Vous vous demandez peut-être en quoi tout ce parcours était nécessaire, alors qu’il aurait été possible de confier le précieux échantillon dans un bureau quelconque de l’Office des céréales situé en dehors de la zone portuaire. C’est judicieux. Avouons toutefois que, comme mesure dissuasive contre les demandes de contre-analyse, ce dispositif est assez efficace. Surtout une année comme celle-ci où les prix du blé ont subi des coupes sévères de la part des collecteurs et ont provoqué par conséquent de nombreuses contestations…
Mais cette explication n’est pas sûre. Une autre est que, sans rien préméditer et de façon plutôt inconsciente, l’administration a le sentiment du devoir accompli chaque fois qu’elle multiplie les entraves sur le chemin du citoyen. C’est une culture, pour ainsi dire, dont elle ne veut ni ne peut s’émanciper.