L’obligation de ne pas avoir de devoirs

J'exècre les « derniers paradis » où s'entassent, le plus souvent en été, les forcenés de la vie comme spectacle et comme distraction : américanisés même quand ils sont authentiques car c'est le propre de la société de consommation de n'accorder d'attention (le peu d'attention qu'on lui accorde) qu'à ce qui est sur le point de disparaître. Les nouveaux objets sont tous à obsolescence programmée et les anciens doivent s'adapter : pour être appréciés ou tolérés, ils doivent être proches de l'extinction, sinon quel ennui.

En fait, ce que je déteste, plus que les lieux ou les choses, ce sont eux, les consuméristes, les hédonistes : qui ne font pas que gaspiller leur existence, peut-être. Pour ne pas avoir de doutes ou de regrets, ils exigent un monde à leur image.

Bien sûr au nom de la liberté, de l'émancipation : ce qui ne pourra jamais être leur liberté, leur émancipation. Ils doivent les imposer à tous, même à ceux qui n'en veulent pas. Ils les font encore passer pour des droits, mais ils deviennent des devoirs : les labels "humain" et "universel" les rendent obligatoires.

À commencer par le premier commandement : le devoir de ne pas avoir de devoirs. Indispensable au triomphe de l'indifférence, qui ne signifie rien d'autre que l'absence de diversité, remplacée par une multiplicité figée d'options politiquement correctes et à la mode, coïncidant parfaitement avec les besoins et les intérêts contingents du néo-capitalisme.

Je hais les indifférents, disait le jeune Gramsci ; bien qu’à l’époque ils l’aient été par inertie. Aujourd’hui, l’indifférence est active, militante. Une avant-garde autoproclamée, mais pas au sens léniniste mais au sens futuriste : celle des artistes qui, pour s’imposer, ont détruit l’art, pas forcément intentionnellement, pire, par superficialité, précipitation, arrogance. Le goût de la transgression facile, protégé par le Premier Amendement (de la Constitution américaine et donc à appliquer partout dans le monde) : le droit de transgresser sans conséquences, donc la réduction de l’art, puis de la politique, à un jeu de société, en fait, à un jeu individuel, solitaire, virtuel et autoréférentiel : une masturbation conceptuelle.

Le temps des origines est révolu. La planète est saturée, surpeuplée, épuisée. Le nouveau est une fiction et le culte de l'intelligence artificielle (qui n'est ni intelligente ni artificielle, le contraire de « artis facere ») en est la preuve. Il est temps pour ceux qui veulent protéger et maintenir, au lieu de jeter et remplacer, de commencer leur Résistance. Contre le nihilisme de ceux, nombreux (mais pas autant qu'ils le croient et se croient), qui font le vide parce qu'ils l'ont déjà en eux.

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