Il est indéniable que l’affaire Amir DZ a joué un rôle important, ne serait-ce que comme élément déclencheur, dans la subite et nouvelle crise entre la France et l’Algérie. L’impasse totale de la relation franco-algérienne, inédite par sa gravité depuis l’indépendance, conforte les identitaires des deux côtés dans leur prophétie auto-réalisatrice de guerre civilisationnelle. Ses conséquences sur la scène politique de chacun des deux pays, sont si importantes que se trouve posée la question du rôle exact de cette affaire y compris la possibilité de son instrumentalisation qui aurait précipité et expliquerait une rupture surprenante par sa soudaineté et sa gravité.
Il n’était probablement pas nécessaire que s’y greffe une manipulation pour qu’une telle affaire produise les effets désastreux qui en ont résulté. Mais manipulée ou non, l’affaire Amir DZ et le personnage lui-même en réunissent potentiellement tous les ingrédients. Et pouvaient donner prise à toute manipulation possible. D’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, à une étape ou une autre.
Amir DZ, la galaxie des youtubeurs « opposants » et leurs liens au régime
Dans une tribune sur Médiapart et un post Facebook du 25 octobre 2024 intitulé « Barbouze un jour, barbouze toujours », j’ai eu à évoquer Amir DZ à côté de Aboud Hicham, Bensdira et Abdou Semmar ces youtubeurs prétendus « opposants », liés aux différentes factions du régime.
Cette galaxie est apparue dans un contexte de montée sourde des contestations et de défiance envers le régime. Elle a émergé comme une tentative de réplique au grave déficit de crédibilité de la parole du régime et une tentative de retournement de ce handicap en empruntant à l’opposition sa tonalité contestataire pour se crédibiliser et, par ailleurs, en ravissant à cette dernière les avantages du discours protestataire, la marginaliser. Comme je l’expliquais dans cette tribune :
« Les nouveaux « opposants » youtubeurs à l’instar de Aboud Hicham, Bensedira, Abdou Semmar, Amir DZ et autres, en divulguant des secrets du sérail fournis par les différentes branches concurrentes des services et qui, par leur caractère croustillant, leur assurent une audience, ont pour mission de saturer l’espace médiatique et informationnel par du sensationnel pour faire diversion aux véritables enjeux politiques, pour couvrir de leur bruit les messages de l’opposition, l’invisibiliser et s’y substituer. Ils sont le complément à la politique de verrouillage de l’espace médiatique interne. C’est vers eux que se trouve rabattue la demande inassouvie d’information, pour être manipulée, dans l’opacité, à coup de « révélations » dosées par les services en fonction du sens vers lequel ils veulent orienter le regard. Derrière le sensationnel et les dénonciations personnalisées, ils lancent les sondes et préparent les opinions aux recompositions des rapports de force internes, aux bifurcations du régime. »
Rattachés à différentes factions du pouvoir, ils participent également à la lutte que se livrent celles-ci pour le pouvoir. Une lutte qui s’est aiguisée dès les années 2010 quand la maladie de Bouteflika a posé la question de sa succession. Ils en subissent aussi parfois les déconvenues, les luttes sourdes à l’intérieur du régime se répercutent souvent en représailles sur ces porte-voix cyber des factions. C’est ce qu’a vécu dernièrement le youtubeur « opposant » Bensdira, harcelé par le patron de la police mais protégé par un général plus puissant que ce dernier.
La volatilité de leur allégeance se retrouve dans la trajectoire de Hicham Aboud que j’ai illustrée dans la tribune citée. Commencée comme secrétaire particulier du patron du puissant DRS, marquée par l’aide qu’il fournit de l’intérieur, aux généraux rivaux de son patron pour l’évincer, et poursuivie par le service, tour à tour, des différentes factions du régime, accumulant avec les uns gains et soutiens, et avec les autres revanches et rétorsions qui confortent sa légende « d’opposant » fabriquée par les services. Ce nomadisme aboutit parfois à franchir la ligne rouge comme l’a fait Hichem Aboud en ralliant le régime marocain et, en retour, les représailles comme le vrai-faux enlèvement qu’il a subi comme Amir DZ qui, dans son sillage, et par son intermédiaire, a également rallié le régime marocain. Des vrai-faux enlèvements qui visent tout à la fois à intimider mais aussi à tenter de récupérer. On ne se défait jamais des liens troubles aux officines et on ne quitte pas quand on veut et comme on veut une partie de jeu de manipulations.
Ce qui se passe entre le régime et ses "opposants " sortis de ses laboratoires, c'est ce qui se passe banalement dans toutes les officines où, sur les manipulations qu'elles orchestrent, se greffent des doubles-jeux et des retournements dont la régulation se fait fatalement à coups de représailles. C’est cela le sens des tensions plus ou moins graves qui surgissent ponctuellement entre le régime et ses prétendus « opposants » youtubeurs, victimes d’abord de leur duplicité et cupidité et parfois d’ambitions au -dessus de leur envergure.
L’intrigante et fulgurante ascension de Amir DZ
Amir DZ n’avait même pas la trentaine quand il acquiert, à partir de 2014/2015 une rapide et brusque notoriété grâce à des révélations sur le clan Bouteflika. Ses révélations, en plus de leur caractère spectaculaire par leur étonnant accès à des sources très secrètes, avaient également comme particularité d’être symétriquement opposées à celles de Abdou Semmar. Celui-ci, sous le pseudonyme alors de Louisa Dimitrakis, faisait dans Mondafrique, le site de Nicolas Beau, des révélations tout aussi fracassantes sur le DRS que lui fournissaient le clan Bouteflika et celui du général Gaïd Salah, décidés à saborder le puissant DRS et son chef le général Toufik, pour l’écarter du chemin de la présidence. Derrière le duel médiatique entre Abdou Semmar et Amir DZ, se jouait la lutte sourde et opaque de deux factions pour la succession de Bouteflika. Chacune se dote de son « sniper youtubeur » et l’alimente en révélations pour consolider son statut d’ « opposant » et le rendre crédible à une population en rejet du régime. C’est à ce moment que la notoriété de Amir DZ prend son envol. Dans cette galaxie, il occupera le créneau « islamiste » au moment où celui-ci est particulièrement porteur
Le caractère très sensible et précis des informations qu’il draine et diffuse et surtout leur masse, surclasse les capacités de ce jeune sans expérience et sans réseaux. D’ailleurs Amir DZ les livre sur le mode de l’invective, sans explication et sans tentative d’analyse. Il n’en a ni la capacité ni la culture et, de toute façon, ces informations sont si nombreuses. Cela pose question et cela en a posé y compris au sein de Rachad, l’organisation islamiste sur laquelle il finit par assoir son emprise. Le doute se fait si des informations si nombreuses et d’une telle précision ne lui sont pas transmises, comme aux autres influenceurs « opposants », mâchées et scénarisées par les différentes branches des services de renseignement qui les commanditent.
L’ambivalente et douteuse OPA de Amir DZ sur Rachad
Mais son action aura un autre effet majeur. C’est la prise en otage morale et symbolique qu’il opère sur l’organisation islamiste Rachad à laquelle il s’impose. Jeune, sans parcours ni culture politiques, sans culture religieuse voire sans respect de la morale religieuse, sans itinéraire dans la mouvance islamiste et sans liens initialement avec Rachad, Amir DZ en devient une icône influente. En se greffant dessus et en s’en réclamant, il s’est imposé, malgré eux, à ses dirigeants historiques qui ne pouvaient ignorer son poids médiatique et encore moins s’y opposer.
Cela arrive à un moment où c’est Rachad, dans le champ islamiste, qui concentre l’attention du régime algérien. Celui-ci, servi par l’effet repoussoir des résidus des tendances radicales issues de la guerre civile et ayant réussi à domestiquer la plupart des tendances issues des Frères Musulmans et même à les compromettre dans sa gouvernance, nourrit dorénavant une particulière crainte de Rachad, une crainte disproportionnée par rapport au poids réel de cette organisation constituée surtout d’intellectuels islamistes exilés sans solides prolongements à l’intérieur. Ce qui nourrit cette crainte, c’est le projet, sincère ou tactique, d’aggiornamento de Rachad par rapport aux fondements de l’islamisme, incluant l’ouverture sur les autres oppositions et l’engagement du respect de celles dites laïques. Cette stratégie qui visait à sortir les islamistes de l’isolement dans lequel les a plongés la guerre civile, prend le contre-pied de celle du régime qui a assuré sa survie en installant et en jouant de la dualité islamistes et opposants non islamistes.
La probabilité d’une jonction entre ces deux oppositions, même à l’état de simple évocation dont les conditions sont très loin d’être réunies si tant est qu’elles puissent l’être un jour, suffit à susciter et à orienter prioritairement contre elle l’hostilité du régime. La phobie d’une telle perspective est telle que le journaliste démocrate de gauche, Ihsan El Kadi, pour avoir publié un billet de Blog intitulé « Pourquoi la place de Rachad doit être protégée dans le Hirak », s’attirera les foudres du régime et sera arrêté une première fois et 3 ans de prison ferme seront requis contre lui. C’est sur un autre motif qu’il sera emprisonné plus tard et Radio M qu’il dirigeait, fermée.
Cette place de Rachad dans le Hirak sera finalement compromise. De l’intérieur. Amir DZ, tout en s’imposant à Rachad par des clashs médiatiques, développait des actions particulièrement radicales contredisant et ruinant la stratégie de modération et d'ouverture prônée officiellement par Rachad et confortait une image de duplicité qui rajoutait à la méfiance de l’opposition non islamiste. Une radicalité qui, par ailleurs, en effrayant, a beaucoup contribué à diviser et démobiliser le Hirak.
Il y a exactement 6 ans, j'ai eu à documenter cette stratégie de Amir DZ au travers d’une de ses actions concrète à Marseille dont j’ai été témoin et dont j’ai fait part par un post Facebook du 25 mars 2019 dont je joints le lien. J’ai rapporté comment Amir DZ est venu de Lyon avec un commando d’une vingtaine de personne et comment ils se sont imposés, comme une greffe extérieure, à la tête du cortège. Ils ont substitué les mots- d’ordre consensuels du Hirak fustigeant la corruption et réclamant la démocratie, par celui de « Dawla Islamya », « Etat Islamique ». Ils ont fustigé comme « traitres » les personnalités de l’opposition et même le feu président Boudiaf dont le Hirak a fait son icone, au motif qu’il a combattu le FIS, achevant d’effrayer la majorité des participants au Hirak. Cette date marquera le début de la dispersion puis, très vite, l’effacement du Hirak à Marseille. Rachad, à travers Amir DZ, en apparait comme le responsable, ayant réussi là où le consulat et ses agents avaient échoué. Cette radicalité contredisant l’affirmation d’aggiornamento et apparaissant comme de la duplicité, en se reproduisant ailleurs, y compris dans le pays, referme l’étau de l’isolement sur Rachad qui voit beaucoup de ses militants s’éloigner.
Un Savonarole islamiste radical
Si Amir DZ participe à la dénonciation du clan Bouteflika, il s'attaque également avec beaucoup de véhémence à l'opposition démocrate et notamment ses figures féminines. Contre beaucoup de ses personnalités, il arrive à faire intrusion dans leur vie privée pour mettre en scène des aspects de leur intimité destinés à choquer une opinion conservatrice (consommation d'alcool, tenue dénudée jugée obscène et même échanges intimes). Ces procédés qui rappellent la mise en scène de scandales sexuels par le régime marocain contre ses journalistes contestataires, ont, par leur effet sur l’opinion, un impact qui vient compléter celui de la répression.
Une partie de la presse et des acteurs politiques français évoquent Amir DZ en oubliant le référent idéologique et le socle sur lequel il a bâti sa notoriété, l’islamisme radical. Pour l’en disculper certains signalent sa prise de distance récente avec Rachad. C’est plutôt Rachad qui a pris ses distances avec lui, d’abord en raison de la radicalité qu’il affichait, portant tort à sa stratégie, de son appât du gain ainsi que des doutes, devenus certitudes, sur ses accointances avec le régime algérien
Amir DZ qui vit en occident, pour crédibiliser son rôle, a revêtu le costume d’un Savonarole islamiste persécutant les « mœurs dissolues » des Algériens « occidentalisés », particulièrement les femmes, qu’il a terrorisés par des intrusions qui restent énigmatiques dans leur vie privée. S’il fallait une image caricaturale de l’islamiste radical telle que voudraient la représenter des islamophobes, c’est Amir DZ qui l’incarnerait. C’est ce qui interroge sur la finalité de la bienveillance et la compassion dont il bénéficie aujourd’hui auprès de milieux identitaires français comme le JDD qui l’a même gratifié du statut de « démocrate »
Tebboune, l’obsession et le piège Amir DZ
L’affaire du vrai-faux enlèvement de Amir DZ est organiquement liée avec celle de Bensdira, un autre youtubeur « opposant ». Elles s’éclairent mutuellement.
Bensdira, harcelé par le DGSN Bencheikh pour ses divulgations contre Tebboune, objet de plusieurs poursuites en Algérie dont l’une s’est soldée par l’emprisonnement de son frère maire d’une petite ville, il s’est fait voler son agenda et son ordinateur par des agents du DGSN en France. Malgré les habits de « l’opposant » qu’il a revêtu, ses régulières « révélations fracassantes » sur le système et Tebboune, et le harcèlement sécuritaire et judiciaire dont il est l’objet, les liens de Bensdira avec les services de renseignement sont avérés et connus de tous les observateurs avisés de l’Algérie. Ce que recherchait le DGSN pour le compte de Tebboune, c’est ce qu’il savait déjà : derrière Bensedira, il y a un puissant général .
Ce qu’illustrait le cas Bensdira, c’est que le harcèlement d’un influenceur et même les poursuites juridiques officielles à son encontre, ont le plus souvent pour finalité de débusquer et neutraliser la faction qui l’instrumentalise. C’est le sens et la finalité de l’opération menée par le DGSN Bencheikh contre Bensdira : faire cesser le « Tebboune Bashing » en confondant sa source. Qu’elle se soit retournée contre lui pour l’envoyer en prison malgré son statut de premier flic, éclaire les très forts liens qui lient ces youtubeurs « opposants » au régime et les très hautes protections dont ils bénéficient.
En quoi cette affaire éclaire celle de Amir DZ ?
L’affaire de Bensdira est intervenue au même moment, à deux jours près, le 27 avril 2024, que le vrai-faux enlèvement de Amir DZ, intervenu le 29 avril.
Chacune d’elle a été menée en impliquant un très proche du président Tebboune dans un contexte où celui-ci, fortement tributaire de l’armée, a peu d’influence sur les structures sécuritaires.
Elles ont été menées dans un contexte d’incertitude sur la reconduction de la candidature de Tebboune qui rencontrait dans l’armée de fortes oppositions qui ont même fini par s’exprimer publiquement par voix civiles interposées.
Ce qui relie également Bensdira et Amir Dz, c’est qu’ils étaient les deux principaux youtubeurs « opposants » qui, par leurs « révélations », participaient à la campagne de décrédibilisation de sa candidature et qui, touchant jusqu’à son cercle familial, portaient de sévères coups à la crédibilité de Tebboune.
Remettre la candidature de Tebboune sur les rails supposait désamorcer le climat d’hostilité qui l’entourait dont entre autres ces campagnes de youtubeurs qui n’étaient que les porte-voix de factions hostiles.
Les deux youtubeurs sont visés par deux actions en même temps.
La première, contre Bensdira est menée par le DGSN Bencheikh, un proche de Tebboune à qui il doit sa nomination et qu’il sert avec zèle. Il est particulièrement mobilisé pour sa réélection. Seul sécuritaire important non issu de l’armée, il ambitionne d’étoffer la police et d’élargir son champ d’action. Ce qui est mal perçu par les militaires qui y voit le risque d’émergence d’un pôle sécuritaire concurrent alors que Tebboune avait jusque-là donné des gages à l’armée en ne manifestant aucune velléité.
La deuxième action, au même moment, est menée à Paris contre Amir DZ par des militaires du renseignement au moment où c’est un autre homme de confiance de Tebboune qui est à la tête du bureau de sécurité de l’ambassade à Paris et qui en était forcément le superviseur. Il s’agit du général Moussaoui qui, lui aussi, a connu une rapide ascension grâce à Tebboune. Il était en poste à Berlin quand celui-ci y a été longtemps hospitalisé. Il a servi avec un grand zèle sa famille avec laquelle il s’est lié. C’est l’argument essentiel de sa nomination au poste stratégique à Paris, tremplin comme pour son prédécesseur, Djebbar Mhenna, puis pour lui-même, à la direction de tout le renseignement extérieur.
Les deux opérations ont abouti à un fiasco aux lourdes conséquences sur les équilibres internes du régime. Elles sont connues pour la première qui s’est soldée par l’emprisonnement du DGSN. Sa tentative de confondre les commanditaires dans l’armée du youtubeur Bensdira a sûrement été le franchissement d’une ligne rouge. Mais elle a été aggravée par une circonstance réelle ou prétendue par ses tombeurs. L’aide dont il aurait bénéficié auprès de policiers français pour récupérer les appareils électroniques de Bensdira qui avait été arrêté à Paris pour une affaire de droit commun.
La résidence de Bencheikh en France dans un passé récent, les études et stages qu’il y a menés et les liens maintenus avec des policiers français corroboreraient cette version. Celle-ci sous-entend ingérence et connivence avec les services de sécurité français et insinuerait un coup de pouce français à Tebboune. La purge est allée au-delà du DGSN, elle a concerné des réseaux qui se seraient constitués autour de lui comme son adjoint et l’unité d’élite contre la criminalité organisée qu’il a mise sur pied qui sera démantelée et lui-même emprisonné, des membres importants des renseignements extérieurs comme le colonel Benacer consul à Alicante après avoir été vice-consul à Bobigny. De cet épisode, Tebboune est sorti affaibli comme cela se verra à la présidentielle.
Comme conséquence de l’affaire Amir DZ, il sort également affaibli par le sabordage de l’éphémère réconciliation franco-algérienne qui était attachée à son nom et qui l’avait mis en avant, le faisant apparaitre comme la clé, au moins sur le plan formel, à une crise dont voulait sortir un régime sérieusement ébranlé.
La thèse développée par les officiels algériens d’une manipulation par le ministre français de l’intérieur est plausible. Mais à moitié seulement. Au contraire des diplomates titulaires de passeport diplomatiques et bénéficiant d’une immunité, les agents consulaires présumés coupables de délits sont justiciables des tribunaux du pays d’accréditation et donc peuvent être arrêtés. Mais avec notification à l’ambassade. Ce qui n’aurait pas été respecté. Mais surtout l’arrestation musclée et spectaculaire de l’agent consulaire (dont l’alibi est la saisie de son téléphone avec les données en lien avec l’affaire qui pourraient s’y trouver) apparaissait comme une mise en scène du ministre de l’Intérieur à usage interne pour montrer son autorité et une provocation à destination de l’Algérie au moment où la relation franco-algérienne retrouvait son cours normal.
Mais cette provocation, si provocation il y’a, n’aurait pas atteint son but sans la radicalité de la réaction algérienne avec l’expulsion de 12 agents diplomatiques, un niveau de rétorsion jamais atteint et menant fatalement à un blocage de la relation. C’est une réaction qui va au-delà des espérances et calculs qu’aurait pu avoir Bruno Retailleau, momentanément éclipsé par la diplomatie mais qui ressort ragaillardi et dorénavant conforté dans sa thèse de fermeté à l’encontre de l’Algérie .
Pour mesurer cette réaction, il faut rappeler la crise de 2008 avec l’arrestation d’un véritable diplomate, qui plus est, de haut rang, Hassani, chef du protocole aux AE algériennes. C’est devenu le principal contentieux avec la France, Bouteflika a même annulé un voyage en France. Cependant, il n’y eut pas de mesures de rétorsion, encore moins à ce niveau, ni blocage total de la relation. Est-ce parce que Hassani n’était « qu’un » diplomate et pas un militaire? Plus probablement parce que la présidence était alors un vrai pôle de pouvoir qui, malgré la toute- puissance des services, pouvait faire tampon sur certains enjeux.
Or, Tebboune s’est pris doublement les pieds dans l’affaire Amir DZ. D’abord en en faisant une obsession dans laquelle les révélations de Amir DZ n’étaient pas seulement déstabilisantes par elles-mêmes mais par ce qu’elles supposaient d’appuis importants derrière, obstacles sérieux à la reconduction de sa candidature. Il était largement connu que Tebboune était à l’origine des multiples demandes d’extradition d’Amir DZ. Il en aurait fait une obsession notamment à l’approche de la présidentielle. Dans ces conditions, il ne pouvait pas ne pas cautionner l’opération menée contre Amir DZ soit comme ordonnateur direct ou caution de serviteurs zélés ou même de manipulateurs. Il devenait par là même à la fois tributaire des services qui ont mené l’opération et comptable de ses conséquences notamment vis-à-vis d’eux sachant par ailleurs sa faiblesse et sa vulnérabilité vis-à-vis de l’armée et des services.
Dans ce sens, et particulièrement dans cette affaire où ils étaient directement et physiquement engagés, les services pouvaient dicter et imposer leur position dans la gestion de l’affaire et de ses conséquences. Une position où s’exprimeraient forcément les enjeux de pouvoir non encore tranchés en leur sein et dans lesquels la relation à la France sert de prétexte. Que ce soit un de ses proches, le général Moussaoui, qui a couvert l’opération et qui se retrouve actuellement à la tête des services, ne donne pas plus de coudées franches à Tebboune. L’avenir et la position de Moussaoui dépendent moins de ce dernier que des recompositions toujours en cours au sein de l’armée où malgré les divisions, l’esprit de corps prime. Il n’est pas exclu que la radicalité de la réponse algérienne se soit imposée à Tebboune. Et en sabordant la réconciliation, elle le ramène à sa véritable stature de président aux pouvoirs limités qu’une réconciliation menée directement avec Macron aurait renforcé sur le plan interne, dans le jeu des factions. Intentionnellement ou non, cette réponse vient rappeler à la France que Tebboune n’est ni le canal privilégié ni l’unique.
Politique et Barbouzeries
Quel que soit le jeu trouble qui a pu se faire d’un côté ou de l’autre de la Méditerranée autour du devenir de la relation franco-algérienne et dont beaucoup d’éléments demeureront opaques, il reste une évidence. Le régime algérien s’est fragilisé de lui-même et s’est pris à son propre piège. En verrouillant l’espace politique et médiatique et en le livrant et le sous-traitant à des acteurs controversés comme ces influenceurs qu’il a placé hors la loi et contre la loi, il en est devenu lui-même otage. Les vrais-faux enlèvements opérés contre les influenceurs pour les intimider sont bien l’œuvre des agents du régime.
En rabaissant le politique au niveau de barbouzeries servies par des acteurs dont les allégeances sont fatalement mouvantes et les pratiques forcément mafieuses, le régime et ses factions se retrouvent obligés de se mettre sur le même terrain hors la loi qu’eux et d’user de moyens de représailles hors la loi à l’instar de ces acteurs qu’ils ont fabriqués pour agir hors la loi. Certes, les barbouzeries sont consubstantielles à tout État. Mais en y réduisant le politique, on transforme la vie politique en un théâtre d’ombre où, dans l’opacité, n’importe qui peut se glisser, où les coups peuvent fuser de n’importe où, contre n’importe qui, y compris contre le régime et même contre l’État. Toute manipulation devient possible.
Rien ne permet de confirmer la thèse des officiels algériens sur une possible manipulation du ministre de l’Intérieur français de l’affaire Amir DZ. Mais elle aurait pourtant pu être possible tant la relation trouble du régime à ces influenceurs y prête totalement le flanc et fournit tous les ingrédients pour sa manipulation. Toute manipulation. D’un côté ou de l’autre de la Méditerranée, à une étape ou une autre.
Le régime a cru pouvoir évacuer le politique et écarter l’opposition en réussissant, par la promotion de ces influenceurs, à folkloriser la figure de l’opposition et à la déprécier. La politique en est devenue une histoire de « coups tordus ». Par cette pratique, le régime algérien fait un pas de plus qui l’éloigne de la culture d’Etat et l’expose encore plus au risque de sa propre érosion. Les « coups tordus » finissent mal, en général. Ils reviennent en boomerang comme l’illustre l’affaire Amir DZ, bombe à retardement qui explose à la figure de l’Algérie pour en défigurer l’image.