L’inflation en Tunisie, origines et anticipations

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J’ai abordé le sujet de l’inflation dans un dernier billet publié sur la situation macroéconomique du pays, en anticipant qu’elle devrait baisser vers les 3% dans un horizon d’un an ou deux.

Face à la hausse de l’inflation de 5.8% à fin Février à 6.3% en Mai, une analyse plus approfondie s’impose, ce qui est très surprenant est que l’inflation est en chute libre partout dans le monde, sauf en Tunisie où elle est en hausse pendant la période du confinement et en fin de confinement, alors que le chômage augmente et les revenus sont en baisse.

J’ai analysé la dynamique des prix en Tunisie sur les cinq dernières années en les comparant à la Grande Bretagne, un pays qui a aussi vu une dévaluation de sa devise en 2016 à cause du Brexit.

Les conclusions pour la dynamique récente des derniers mois :

- Après une hausse des produits alimentaires de base en Mars et Avril à cause du confinement, ils sont de nouveau en baisse, la baisse du nombre de touristes et de tunisiens à l’étranger pendant l’été mettra une certaine pression sur la demande et par conséquence sur les prix.

- L’inflation en Tunisie va entamer une baisse rapide, un des contributeurs sera le prix des carburants qui va être plus graduelle en Tunisie, la variation mensuelle étant capée à +/-1.5%, la baisse du prix à la pompe va continuer les mois prochains. Le prix de l’essence devrait finir l’année à 1.7 dinars si le prix de pétrole reste stable jusqu’à la fin de l’année.

- L’inflation hors tabac en Tunisie est à 5.6%, la banque centrale devrait viser cet indicateur. Le prix du tabac, composé à majorité par des taxes de droits de consommation, est en hausse de 30% cette année après des années où le prix était figé, l’augmentation du prix du tabac est une décision qui va dans la bonne direction, elle ne doit pas influencer la politique monétaire.

- Le prix des services de transport a été en nette hausse en Mai (+7% en un mois) à cause des contraintes sur les capacités des transports collectifs (50% de capacité), cette hausse est annulée en Juin car les restrictions ont été levés et les prix sont revenus à leur niveau normal. Ceci devrait contribuer à lui seul à baisser l’indice d’inflation de 0.3% en Juin.

- Les prix de restaurants et cafés sont en nette hausse en Mai (+4.5% en un mois) pour compenser les coûts du nouveau protocole sanitaire, mais face à une demande en baisse, est-ce que les restaurateurs vont pouvoir imposer des prix hauts durablement, j’en doute, les prix alimentaires sont en hausse de 4.7% sur un an alors que les prix des restaurants sont en hausse de 14%, cette déconnexion ne peut pas durer longtemps dans un contexte économique déprimé.

- Sur 50 catégories de produits, 6 contribuent à 50% de la hausse des prix totale sur l’année dernière (3.2% par rapport à une hausse globale de 6.3%), ils ont un poids de 30% dans le panier standard des ménages :

* Le tabac : 0.75%, un poids dans l’indice de 2.6% en une hausse de 29% du prix sur un an, déjà discuté plus haut.

* Les loyers : 0.64%, un poids dans l’indice de 12% en une hausse de 5.3% du prix sur un an. Le poids des loyers au UK dans l’indice est de 23%, presque le double du poids en Tunisie.

Une baisse durable de l’inflation est tributaire de ce composant essentiel, avec la crise du secteur de la promotion et les pressions démographiques, le rythme de hausse des loyers devraient ralentir. Avec la baisse de l’inflation attendue à moyen terme, ceci contribuera à enlever les clauses de hausse systématique des loyers des contrats.

* Les restaurants et cafés : 0.57%, un poids dans l’indice de 4% en une hausse de 14% du prix sur un an. Déjà discuté plus haut.

* Soins personnels : penser ici aux services de coiffures, esthétique et les produits similaires. Une hausse annuelle de 11%, un poids dans l’indice de 4.2%.

* Les services de transport : une hausse annuelle de 12.7% pour un poids de 3.3%, le coût d’acquisition et d’utilisation des voitures est en baisse pourtant, cette hausse est technique en Mai et les prix retrouverons un niveau normal le mois prochain.

* Les vêtements : une hausse de 8.4% sur un an. Les prix sont en baisse au UK et surtout dans la période du coronavirus. Le dinar est aussi stable. Y a-t-il un problème de concurrence dans ce secteur ? C’est l’élément le plus surprenant, la demande mondiale est en baisse, pourquoi les prix sont en nette hausse en Tunisie ?! Je suis preneur de toute explication.

- Au vu de tous ces éléments (retard de la baisse des prix de carburant, hausses techniques de certains prix de transport, chômage en hausse), l’inflation va commencer à chuter avec un rythme élevé et ce à partir du mois de Juin où j’anticipe une baisse de l’inflation annuelle de 6.3% à 5.8% et le trend continuera pour finir l’année à 4.5% environ avec un risque plus élevé qu’elle finisse sous 4% que supérieure à 5%.

Si on prend une perspective plus longue (les cinq dernières années), voici les points les plus marquants :

- La moyenne de l’inflation sur les cinq dernières années était à 5.5%, alors qu’elle était inférieure à 1% dans pas mal de pays européens et à 1.7% au Royaume Uni un pays qui a vu sa devise se dévaluer à cause du Brexit. La chute du dinar ne peut pas donc expliquer à elle seule les pressions inflationnistes.

- Ce qui confirme ceci que les prix de toutes les catégories a augmenté d’une manière presque uniforme sauf une, les communications, pour laquelle les prix sont restés stables et même l’inflation a été inférieure à l’Europe grâce à la concurrence dans ce secteur !

S’il fallait une preuve que les contraintes à la concurrence et les barrières sont un des maux de l’économie tunisienne. Si on va plus dans les détails, on remarque aussi que la hausse des prix d’électricité et gaz, des services hospitaliers et de l’assurance ont été plus bas qu’en Europe. Ceci explique en partie l’état des hôpitaux et la STEG.

- Les catégories qui ont vu le prix augmenter le plus sont les vêtements, les services financiers, les services à la personne comme la coiffure et l’esthétique, les restaurants, les mêmes qui ont continué à augmenter les prix en dehors de toute logique juste après le confinement. Les prix des vêtements et chaussures en Europe sont stables sur 5 ans, zéro augmentation des prix alors qu’ils ont augmenté de 8% par an en Tunisie, est-ce que le système des franchises y est pour quelque chose ? Le prix des services financiers sont en baisse partout dans le monde (baisse de 2.3% par an en Grande Bretagne sur les cinq dernières années), pourquoi ils sont augmenté de 4% par an en Tunisie ? On connaît la réponse, le problème de la vraie concurrence.

Avec la baisse des prix à la production en Chine qui est un indicateur avancé de l’inflation à la sortie de l’usine du monde, le prix des produits manufacturés seront sous contrôle, la crise actuelle baissera-t-elle le rythme d’inflation des prix des services ? La première réaction de certains secteurs a été de pousser les prix à la hausse pour compenser les coûts des protocoles de santé et les capacités réduites.

La hausse du chômage mettra une pression sur les prix des services. L’inflation en Tunisie n’a aucune raison de défier la pesanteur, elle va décrocher sur les deux prochaines années vers 3% si l’état ne sera pas tenté d’augmenter la TVA. Si l’état poussait vers plus de concurrence, ceci contribuerait à faire disparaître les pressions inflationnistes pour longtemps de certains secteurs.

A bon entendeur, surtout à court terme, Monsieur le Gouverneur de la Banque Centrale de Tunisie qui devrait viser des taux réels nuls pendant la crise, j’espère que la baisse des taux sera effective très rapidement dès que le décrochage que j’anticipe se réalise. L’économie du pays ne pourra pas supporter des taux aussi élevés longtemps.

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