Nos crimes, vos crimes…

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Je vais vous parler de logique. Lorsqu’un homme libre, dans l’exercice parfaitement légal de sa liberté personnelle, en vient à couper une branche pour se réchauffer par un soir d’hiver impitoyable et que la branche se rebiffe et lui cingle le visage d’un refus inconscient, la branche récalcitrante est jugée coupable d’acte de terrorisme et l’arbre est brûlé dans un bel autodafé à la gloire de la justice. Cela s’appelle la logique du plus fort, la puissance n’entretenant pas toujours un rapport intime avec la justice.

Le juge appelé à légiférer sur l’affaire insolite, ne peut s’empêcher de relever certaines incohérences dans le dossier de l’accusation. D’abord, s’il est permis à n’importe qui de se protéger du froid, ne serait-il pas également du droit de l’arbre de s’inquiéter de son intégrité physique ? Et si quelqu’un est pressé par le besoin de réaliser une ablation inopinée dans le corps d’un autre être vivant, ne serait-il pas logique de lui demander la permission, d’en payer le prix ou d’en subir les conséquences ?

Comment d’ailleurs faire la part des choses entre la nécessité vitale de se servir d’autrui pour assurer son confort personnel et l’égoïsme inconscient qui rejette sur les autres les avatars de ses mauvais choix ? Pourquoi s’aventurer dans les bois par un temps aussi froid sans emporter de quoi se réchauffer ? Et puis, la riposte étant moins grave que le danger encouru, ne serait-il pas plus juste de conclure à la légitime défense ? Le juge est plutôt perplexe. Comment peut-on agresser un autre ensuite se plaindre que cet autre se soit défendu ? Il décide d’en agir selon sa conscience et reboute le plaignant, le condamnant à payer dommages et intérêts.

Mais nous n’en sommes encore qu’aux premiers balbutiements de cette logique. Les médias se sont emparés de l’affaire. Les plateaux télé ont invité moult experts qui ont démontré le caractère macabrement idéologique de l’attentat. « L’agression qui a visé particulièrement le visage est incontestablement l’œuvre d’une idéologie iconoclaste qui refuse la représentation et abhorre la beauté ».

« Le défaut d’intégration dans le cadre d’un rapport de complémentarité communautaire est la preuve d’un parti pris civilisationnel sous-tendu par une volonté hégémonique qui cherche à saper les fondements de la société d’accueil ». « Répondre par la violence est significatif d’un endoctrinement nourri par de vieux textes barbares et sanguinaires incompatibles avec la société moderne ». « La composition génétique de la faune et de la flore doit absolument s’adapter aux lois de la république ». « Préparez-vous à une terrible invasion par des arbres aigris et en colère qui dévasteront notre civilisation si on les laisse faire ». « Pourquoi les arbres ne restent-ils pas chez eux comme nous-mêmes l’avons fait en partant de chez eux après leur avoir apporté la civilisation ? ». « En frappant à la tête, nos ennemis trahissent la nature de leur combat et les véritables enjeux de l’affaire.

Loin d’être un fait divers anodin, il s’agit du combat épique de Prométhée contre l’obscurantisme et l’ignorance ». « Faut-il être un monstre pour refuser de tendre la main à un être en détresse et le punir en plus de vouloir vivre ? ». « Messieurs, vous avez tort de penser qu’il s’agit simplement d’un acte isolé d’un arbre qui ne représente que sa détestable personne. Tous les arbres cachent la même fourberie derrière les lambris trompeurs de l’hypocrisie qui n’attend que l’occasion ».

Les élus du peuple, non moins perspicaces ni pondérés que leurs experts, ne tardèrent pas à emboiter le pas à la saine vindicte populiste et pondirent les lois qu’on attendait de leur compétence. Désormais, les arbres devaient s’astreindre à ne plus laisser pousser plus de trois branches qui ne devaient en aucun cas avoir plus de trente centimètres d’envergure.

Certains arbres, jugés plus dangereux que les autres, se virent même obligés de porter une étoile jaune pour permettre aux paisibles mutilateurs de les reconnaitre et de s’en prémunir. Injonction est faite à tous les arbustes de ressembler dans leur accoutrement aux lampadaires réglementaires de la république afin de ne pas polluer le paysage visuel de la cité et de se conformer à la loi régissant les libertés citoyennes comme la liberté de l’accoutrement. Les propriétaires particuliers d’arbres domestiques furent invités à inscrire bien en évidence sur la porte de leurs demeures l’expression « attention arbre méchant ».

Les seuls arbres qui échappèrent à la sainte inquisition furent les tournesols. Ils sont aux plantes ce que les girouettes sont aux hommes de principe. Ils se répandirent en excuses de ressembler si inopinément aux bourreaux de la liberté et de la lumière, affirmèrent se désolidariser de toute forme de résistance aux lois du plus fort, firent toutes les simagrées qui rendraient jaloux un chimpanzé de cirque, assurèrent leurs maitres de leur sympathie inconditionnelle, renièrent leur appartenance au règne végétal et vouèrent aux gémonies tous les abrutis coupables de rébellion contre l’ordre établi de la justice à deux vitesses.

L’arbre coupable n’en sut heureusement rien. Personne ne l’a interrogé sur la raison de son acte inqualifiable. Il fut brûlé séance tenante. Au milieu de la cendre, les enquêteurs découvrirent une trace d’ADN portant le gène de la haine de la lumière. Pourtant, la forêt où il vivait, était bien ensoleillée.

Son tronc et ses branches étaient réduits en charbon que la victime prit soin d’emporter car il n’y avait pas de maigre profit et la cité fut heureuse d’avoir une justice aussi équitable. Les arbres ne feront plus peur à personne. Momentanément. Car une cité qui vit de ses peurs ne peut arrêter d’en créer.

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