Journal d’un confiné 5ème épisode

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Samedi 4 Avril

L’heure est aux bilans. Je viens de passer plus d’un mois entre le lit toujours défait (à quoi bon ?) et le bureau jonché de tout ce qu’une longue période de farniente peut accumuler. Quand l’envie d’une promenade devient trop lancinante, je me lève, je prends à droite, enjambant les câbles trainant nonchalamment sur le parquet. Ces câbles alimentent mon petit monde rechargeable : le chargeur du rasoir, de la montre intelligente, du téléphone intelligent, du PC non moins intelligent et le chargeur des piles de mes vaps électroniques.

Sans compter le câble de la télé, celui du récepteur, celui du lecteur dvd que je ne me suis pas encore résolu à abandonner et celui du deuxième pc, d’une intelligence plutôt vieillotte, relié à la télé à l’aide d’un câble HD. Ensuite je franchis une porte entrebâillée, je tourne à gauche le long d’une chiffonnière chargée du bric-à-brac typique à tous les paresseux dépassés par leur nature et par les événements. Arrivé face à la porte de la salle de bains, il suffit de tourner à gauche et me voilà au bout de mon voyage à l’étranger.

Durant les cinq semaines qui viennent de s’écouler, j’ai serré la main à deux personnes, j’ai échangé des propos insignifiants avec le concierge, l’épicier, la caissière du supermarché, l’employé de la station-service et le boulanger. Sans oublier le coiffeur qui m’a coupé les cheveux il y a trois semaines à qui j’ai dit : « quatre » en désignant le rasoir à utiliser, puis à la fin : « pourquoi ? » lorsqu’il a exigé une majoration de cinquante pour cent.

Je n’avais pas jugé prudent de discuter de peur qu’il se mît à tousser en s’étranglant de colère. Ma femme me dit tout le temps « on ne plaisante pas avec la vie ! ». Ah oui, il y a aussi l’agent de sécurité du supermarché qui m’a aimablement offert à l’entrée des gants en plastique plus fins que les sachets. J’en ai mis un à ma main droite mais ce fut toute une affaire pour enfiler l’autre à ma main gauche. Pour ne pas retarder les clients qui attendaient derrière moi, j’ai décidé de courir le risque d’une protection insuffisante.

Cet épisode me tracasse tout particulièrement. J’avais touché plein de trucs au supermarché. Voyons, quand apparaissent les premiers symptômes ? Au bout de combien de jours ? Et pour les grands fumeurs, les délais sont-ils les mêmes ? Pourvu que le virus ne me prive pas de mes journées d’incubation réglementaires sous le prétexte que je suis fumeur !

Comment vais-je aujourd’hui ? je me tâte le front. Est-ce de la fièvre ou simplement la fébrilité de la réflexion ? J’ai tout de même toussé à deux reprises ! J’ai à chaque fois soigneusement mis ma main devant ma bouche de peur d’exposer l’air de ma chambre à la contagion. Je suis pourtant seul mais on n’est jamais assez prudent. Est-ce que je ressens de la fatigue ?

Il n’y a pas de thermomètre pour mesurer la fatigue. Je tente de lever un bras. Ça marche. Presque sans effort. L’autre maintenant. Pareil. Ça me rassure. Allez, une jambe maintenant pour lever tous les doutes. Elle résiste un peu puis cède à la fin sous l’effort paniqué que je fis. Mon pied s’était entortillé dans le drap. Une alerte pour rien. Bon, si le virus s’est invité en moi, il a tout de même décidé de la jouer réglo, à la loyale : j’aurai droit à mes deux semaines d’incubation avant l’apparition des symptômes.

Il faut fêter cela avec un bon café et une cigarette. Si dans deux semaines je n’ai pas de symptômes, je m’autoriserai trois cigarettes de plus par jour. Entre-temps, le groupe des « tunisiens qui veulent juste partir » ne sont pas encore partis. Ils ont simplement changé d’adresse électronique. Mais je suis décidé à les débusquer…si madame Corona nous en laisse le temps…

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