Décès de Mohamed Morsi : le dernier clou dans le cercueil de la révolution égyptienne

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Le dramatique décès de Mohamed Morsi, seul président égyptien ayant été élu démocratiquement au cours de l’histoire récente, n’est pas surprenant.

Difficile d’imaginer un timing plus ironique : sa mort survient deux semaines à peine avant le sixième anniversaire de son éviction et son arrestation à la suite d’un coup d’État qui l’a chassé du pouvoir un an après son arrivée à la présidence.

La seule surprise vient du fait qu’il a tenu aussi longtemps dans des conditions aussi déplorables.

Une personnalité peu connue

Mohamed Morsi a été professeur d’ingénierie à l’université égyptienne de Zagazig jusqu’en 2010. En 1982, il a obtenu un doctorat de l’University of Southern California et a été nommé professeur assistant à la California State University de Northridge la même année, poste qu’il a occupé jusqu’en 1985 et son retour en Égypte.

Il a été député de 2000 à 2005. Comme tous les membres des Frères musulmans (FM), il s’est présenté à titre indépendant parce que le groupe avait l’interdiction d’être une organisation officielle pendant les trente années de règne de son prédécesseur, Hosni Moubarak, qui a été chassé lors d’un soulèvement populaire en janvier 2011.

Avant son élection en 2012, Morsi était un membre peu connu du Parti de la liberté et de la justice (PLJ), l’aile politique des FM. Ce parti socialement conservateur mais politiquement progressiste a remporté haut la main les seules élections présidentielles et législatives libres et équitables jamais tenues en Égypte en 2011-2012.

L’arrivée au pouvoir du PLJ a cependant été la cible des autorités militaires, qui ont pointé leur viseur laser sur Morsi, lequel non seulement symbolisait son affiliation islamiste, mais défendait aussi l’écrasante revendication pour un régime civil.

Prisonnier politique

Mobilisant les médias, la justice et les services de renseignement pour renverser Morsi, début juillet 2013, l’actuel président égyptien, Abdel Fattah el-Sissi, a dirigé un coup d’État contre l’homme qui l’avait nommé à son poste de ministre de la Défense.

Selon un rapport publié en 2017 par Human Rights Watch (HRW), Morsi a été arrêté et maintenu au secret sans inculpation ni procédure judiciaire pendant 23 jours, jusqu’au moment où les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête à son encontre.

Morsi a fait face à une série de fausses accusations, notamment d’espionnage pour le Qatar et le Hamas, et pour s’être évadé de prison dans le chaos du soulèvement de 2011, deux jours après avoir été détenu illégalement.

Mohamed Morsi a comparu devant le tribunal pour la première fois quatre mois plus tard. Enfermé dans une cage insonorisée, il n’a pas été autorisé à consulter son avocat, en violation du droit à un procès équitable. Pendant les trois années suivantes, Morsi a été maintenu à l’isolement, se retrouvant complètement coupé du monde extérieur.

Au cours des quatre premières années de son incarcération, la famille de Morsi n’a été autorisée à lui rendre visite que deux fois, en novembre 2013 et en juin 2017. Il a pu voir son épouse et sa fille pendant 30 minutes, mais ses quatre fils et les autres membres de sa famille ont eu l’interdiction de lui rendre visite.

Son traitement est typique de celui infligé aux quelque 60 000 prisonniers politiques actuellement détenus dans les prisons toujours plus nombreuses en Égypte.

Diabétique souffrant également d’une maladie hépatique, la santé de Morsi s’est détériorée, ce qu’il considérait comme une stratégie délibérée pour mettre fin à ses jours par manque de soins.

Le 8 juin 2017, l’équipe de la défense de Morsi a déposé une plainte auprès du procureur général pour demander son transfert dans un établissement de santé privé pour examen, faisant écho aux préoccupations soulevées par Morsi lui-même lors d’une comparution devant le tribunal en août 2015 et encore en mai dernier.

Retour de flamme

S’il ne fait aucun doute que Morsi était un personnage clivant, il est également indiscutable que tout président civil élu suite à un scrutin libre et équitable qui contesterait le régime militaire serait clivant.

Il y aura toujours ceux dont le dégoût viscéral pour les islamistes de toutes allégeances politiques l’emportera sur toute logique. Dans le même temps, il y avait ceux qui n’ont vu aucune faute de la part de Morsi et du PLJ.

Cependant, je ne m’attendais pas à cette immense zone grise entre les deux, à cet élan de sympathie et de tristesse pour ce qu’il a vécu et cette indignation face à l’injustice qu’il a subie.

La réaction locale et mondiale à la mort prématurée de Morsi deviendra son héritage retentissant. Alors que l’Égypte a sombré dans un état de dictature militaire à part entière, seuls les aveugles n’ont pas encore vu à quel point Morsi a été traité de manière injuste par rapport au dictateur qu’il avait remplacé après 30 ans de règne.

Moubarak a passé la majeure partie de sa détention dans un hôpital militaire, traité comme un roi et entouré de sa famille. Il a finalement été disculpé de toutes les accusations (notamment d’avoir conspiré pour tuer des manifestants en 2011) avant sa libération en 2017.

Si Moubarak décède aujourd’hui, il recevra probablement des funérailles nationales en l’honneur de son passé militaire. En revanche, Morsi, qui a passé une année contestée au pouvoir que même ses ennemis jurés ont reconnue comme un refuge pour la liberté d’expression et les droits civiques, a été condamné à mort et à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour des accusations inventées de toutes pièces, a été contraint de dormir par terre en isolement cellulaire et s’est vu refuser l’accès à des soins médicaux adéquats.

Morsi n’a pas reçu de funérailles nationales. Selon la presse, il a été enterré rapidement sans enquête appropriée sur la cause du décès. Sa famille s’est vu refuser sa demande pour qu’il soit enterré dans son village natal et seuls ses enfants ont été autorisés à assister à la cérémonie. Son épouse en a été empêchée.

L’ampleur de cette injustice est si difficile à comprendre sur le plan humain qu’elle a produit un retour de flamme.

Un épilogue à la révolution

Voici ce qu’un ami copte, virulemment anti-Morsi, a écrit dans un message public sur Facebook :

« Je croyais que sa bande des Frères musulmans allait gouverner l’Égypte pour toujours et qu’il n’y aurait jamais d’autre gouvernement élu démocratiquement. Je croyais vraiment qu’il avait vendu le Sinaï au Hamas (ou au Qatar), qu’il avait violé la Constitution, qu’il était un traître à son pays et qu’il avait perdu toute légitimité.

« Sa présidence n’a duré qu’un an. Aujourd’hui, je me rends compte que j’ai été pris dans un mouvement collectif de persécution sur les réseaux sociaux, d’indignation incessante provoquée par l’écran qui a exagéré chaque mot qu’il a prononcé et minimisé complètement les faits sur le terrain ou sa véritable popularité […] Aujourd’hui, je pleure sa mort et je me sens partiellement responsable de la frénésie qui a conduit à sa disparition. Je suis désolé. »

Mon ami n’est pas le seul à penser de la sorte.

La mort de Morsi peut apparaître comme l’épilogue de la révolution égyptienne, le dernier clou dans le cercueil d’un rêve amputé. Mais elle peut aussi marquer le début d’une nouvelle conversation sur nos valeurs en tant que nation et sur l’avenir de ce pays.

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