Pour NEJIB CHEBBI, « BEJI CAÏD ESSEBSI A TOUT RATÉ ».

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Parce qu’il s’est comporté en chef de clan et non en homme d’État ?

Voici la simple question posée récemment au concours blanc d’entrée à l’École nationale d’administration de Paris (ENA) : qu’est-ce qu’un homme d’État ? C’est un sujet sur lequel aurait pu plancher notre président de la République, qui n’a que cette distinction à la bouche, « rajel dawla », n’en reconnaissant l’excellence qu’en sa propre personne et nulle part ailleurs.

Si j’étais une gestionnaire de ressources humaines très supérieures, voici comment je définirais le profil de cette perle rare :

L’homme d’État, c’est d’abord celui qui incarne le récit national. Marqué de la patine du temps, il endosse l’histoire de son pays, se nourrit de sa culture et toute sa trajectoire porte l’empreinte de son engagement dans une mobilisation commune. En aucun cas, il ne saurait être surgi de nulle part, un OVNI, un champignon spontané, un plan(t) hors sol.

En situation de responsabilité, il met une lucidité sans concession à dresser un état de la Nation, à partir duquel il projette une vision pour son pays, une stratégie pour la sauvegarde et la promotion du Bien commun.

Fédérateur, il est conduit à gérer les flux, à transcender les clivages et, à la fois dans ce recul et dans ce surplomb, à se poser à la confluence des lignes de force qui travaillent sa société. En un temps de crise surtout, il intervient pour faire corps, il est appelé selon l’expression consacrée « à faire Nation ».

Son silence est d’argent mais sa parole est d’or : il se reconnaît dans son parler vrai, en gravité, avec courage.

Plus que tout, dans l’épreuve, dégagé des intérêts particuliers et des contingences dérisoires, attaché seulement à l’essentiel du destin d’un pays, il est porteur d’une nécessaire dimension morale.

Ceci est un profil idéal. Béji Caïd Essebsi en coche-t-il les cases ?

Oui, il a su au départ incarner l’identité tunisienne et mieux que quiconque au moins depuis la révolution, il a su avec brio représenter notre pays à l’étranger, et mettre en avant ses avancées civilisationnelles, particulièrement en ce qui concerne la condition des femmes. Il a reconduit, dans son équilibre et sa modération, la politique étrangère tunisienne qui est Son affaire car il s’est construit dans cet ouvrage-là.

On peut penser ce qu’on veut de cette politique étrangère, trop dans le giron occidental, avec des amitiés très particulières avec certains pays du Golfe, mais il en a préservé la pondération et le pacifisme.

On aurait pu attendre de lui parfois un peu plus de colère, un peu plus d’engagement, notamment dans l’affaire Jamal Khashoggi ou le soulèvement algérien, comme Bourguiba à d’autres propos mais c’était Bourguiba et c’était une autre époque. En tout cas, il a épargné à notre pays les archaïques connivences et les hallucinantes fantaisies de son prédécesseur.

Dans la continuité du récit national dont il se réclame, il s’est surtout porté en promoteur de l’égalité entre citoyens et citoyennes mais son initiative en matière d’égalité successorale est devenue trop vite un objet de manipulation électorale. Surtout, en ne convertissant pas le moratoire sur la peine de mort en projet de loi abolitionniste, il a raté l’opportunité d’entrer, comme Bourguiba, dans l’histoire du monde arabe et musulman.

Attaché à refaire l’unité de la nation et à en raccommoder la déchirure de la lutte nationale et de l’indépendance, il a proposé le « tawafoq » avec l’autre part du ciel tunisien représenté dans un aboutissement historique par le mouvement Ennahdha. J’avoue que dans les premiers temps, j’y ai cru naïvement comme un passage obligé, une forme de réparation nationale.

Il est apparu par la suite qu’il semble s’être agi d’un deal sur fond de sombres dossiers et de chantages partagés. Un trop grand nombre d’accusations publiques ont semé le doute. À dieu ne plaise que ce deal ne recouvre une dette de sang. Toujours est-il qu’avant de s’en aller, Béji Caïd Essebsi doit parler pour ne pas laisser s’enkyster cette plaie noire dans l’histoire de la nation. Il me plait de résumer ainsi : là-haut Chokri chante et il vous attend monsieur le président.

Sur la fin de sa route, il semble avoir été atteint d’un Alzheimer fulgurant, délaissant la préservation du Bien commun qui était sa mission, uniquement obnubilé d’un seul intérêt particulier, celui de sa généalogie. Ce faisant, le fédérateur est devenu le diviseur, conduisant indirectement à l’implosion du projet national rassembleur cristallisé autour du mouvement Errahil. Alors, du surplomb où chacun lui reconnaissait une légitimité, il est descendu en chef de clan dans l’arène politicienne où se dévoyaient les questions essentielles du pays.

Il semble finir dans une mise à l’écart par une coalition de la médiocrité et de la voyoucratie, en quelque sorte dépossédé de sa légitimité, scalpé de son aura par des moins que rien.

Est-ce pour cela qu’interrogé ce mardi 16 avril, par la journaliste Fatma Karray sur le plateau de Nessma TV, Néjib Chebbi, l’homme politique au long parcours et quelques revers, assène cette épitaphe : « Béji Caïd Essebsi a tout raté » ?

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