Le parti « Watad » présente à l’élection présidentielle Mongi Rahoui, candidat précipité et inachevé…

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Et qui donc conduira aux législatives les listes de la gauche sociale ?

Il y a quinze jours, la nouvelle a couru que des dirigeants de Watad, le parti de Chokri Belaïd, présenterait Houcine Abassi comme son candidat à l’élection présidentielle. À cette annonce, un petit soleil d’hiver m’a semblé dissiper la grisaille d’une disparition programmée de la Gauche sociale du paysage politique : la candidature du prix Nobel de la paix est pour moi la garantie d’une victoire promise.

Cet automne, J’ai si longuement, et avec tant de conviction lyrique, soutenu une telle espérance qu’aujourd’hui je ne développerai pas ma déception. Malgré son droit au silence, au retrait, au non engagement dans cette phase cruciale de notre histoire, il faudra que Houcine Abassi nous explique les raisons personnelles et politiques qui font qu’il ne manifeste aucune envie « d’y aller ».

Le parti Watad a donc changé son fusil d’épaule. Il vient d’annoncer officiellement qu’il présente le député Mongi Rahoui comme son candidat à l’élection présidentielle ainsi qu’à la direction du Front populaire, Jabha Chaabiya dont Watad fait partie.

Les médias ont accueilli dans une stupeur presque mêlée d’effroi (tefjaana) cette information : elle apparaît en effet comme la déchéance d’une icone, Hamma Hammami. Le secrétaire général du PCOT devenu PT (Parti des Travailleurs), et porte-parole du Front populaire, est la figure emblématique de la résistance de la Gauche radicale à la tyrannie paternaliste de Bourguiba et à l’autoritarisme policier de Ben Ali.

C’est un engagement qu’il soutient sans faiblir depuis que, tout jeune homme, battu et humilié dans les sous-sols du ministère de l’Intérieur, il remonta les avenues qui le conduisaient chez lui en larmes et se jurant de ne jamais plier sous le bâton ni de céder à la carotte ! Après la révolution - le matin du 14 janvier il était encore retenu au ministère de l’Intérieur - il a continué à demeurer le leader irrédentissime, presque hiératique, de l’opposition autant à l’Islamisme politique qu’au libéralisme.

En dehors des Islamistes et des perspectivistes, il doit être le militant de Gauche qui a le plus longtemps séjourné dans les cachots moisis du pouvoir tunisien. Le souvenir que je garderai éternellement de lui, c’est celui du détenu en survêtement blanc, étendu sur un lit de l’hôpital Charles Nicolle, au service de néphrologie où il avait été déféré de sa cellule, sous la surveillance d’un policier, l’image d’un beau jeune homme vigoureux et hautain sur qui je déposais trois œillets rouges, comme sur le capitaine de la grande révolution portugaise ! À chacun ses mythes, et j’ai pour Hamma Hammami admiration, estime et affection, malgré mes réserves.

Car je ne me suis pas privée de critiques envers lui, regrettant parfois sa proximité avec les islamistes sous Ben Ali à l’occasion du Mouvement du 18 octobre, ou certaines protections encombrantes dont il me semblait bénéficier, ou encore son attitude inflexible, inapte à la négociation et au compromis, notamment avec une Gauche plus modérée.

Est-ce tout cela, ou son autoritarisme et une certaine personnalisation de son leadership, ou autre chose encore que lui reprochent ses camarades de Watad, pour le destituer ainsi ou pour lui substituer une autre candidature à l’élection présidentielle ?

Je ne connais pas Mongi Rahoui, d’une promotion plus récente de militants, du moins je ne le connais que par les médias dont il est souvent un « bon client », soit directement sur les plateaux, soit par téléphone, étant toujours ici et là, peut-être déjà dans un « bon plan de comm ». Je me souviens qu’il y a deux ans, la rumeur lui prêtait l’espérance de participer au premier gouvernement Chahed, ce à quoi la direction du Front populaire s’était fermement opposée.

À l’époque, je le considérais comme le Samir Taïeb de la Jabha Chaabiya ! Il s’était alors répandu en dénigrement de Hamma Hammami, opinion peut-être légitime mais que je trouvais choquante, étalée ainsi dans les médias car je suis d’une génération qui considère qu’on règle ses divergences politiques à l’intérieur de son mouvement.

Mais par la suite, je reconnais qu’il tint des propos tout à fait corrects du point de vue d’une Gauche sociale exigeante, notamment en président de la Commission financière de l’ARP, et qu’il a soutenu vigoureusement les accusations du collectif de défense de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi, contre le mouvement Ennahdha qui en retour, en la personne du président de la Choura, Abdelkrim Harouni, l’a ciblé de manière menaçante.

Mongi Rahoui se sent-il en mesure de « déposer » Hamma Hammami ? Dans les médias un de ses camarades, qui n’est pas le très fin et dense Zied Lakhdhar mais un autre dirigeant de Watad moins délicat, insiste sur la nécessité de renouvellement et de rajeunissement de la représentation publique du Front populaire, en précisant insidieusement que Hamma a derrière lui cinquante ans de militantisme !

Il ajoute que cette nouvelle candidature évite à ce dernier d’être rejeté par l’opinion comme usé et vieilli. Ce coup fourré de Rahoui contre Hamma me parait comparable aux décharges d’un Ruffin contre Jean-Luc Mélenchon (allié politique de Hamma), bien que ces dernières griffures soient infiniment moins grossières et moins déstabilisatrices.

Que veut véritablement Watad en proposant publiquement la candidature de Mongi Rahoui à l’insu d’autres composantes du Front populaire et en anticipant la décision de son Conseil national ? Cherche-t-il à faire passer en force son candidat au risque de faire imploser la Jabha ?

De quelle notoriété jouit Mongi Rahoui auprès de l’opinion, aurait-il le soutien de l’UGTT ou de sections de la Centrale syndicale ? Peut-il prétendre à s’imposer avec plus de charisme, et plus de relations internationales et de solidarités nationales, que Hamma Hammami ? Et surtout de quels programmes est-il porteur, en quoi diffère-t-il du discours de Hamma ?

Mongi Rahoui me parait être un député énergique, un porte-voix efficace d’un discours social et économiquement progressiste à l’Assemblée. Mais dans une campagne en vue de la magistrature suprême, pourrait-il devancer une personnalité aussi forte et claire que le chef du Courant démocrate (Tayyar dimocrati) Mohamed Abbou, qui est en mesure de gagner des points sur les mêmes segments de population électorale que lui ?

En fin de compte, ne perdra-t-il pas sur les deux tableaux, celui de la présidence et celui de la représentation parlementaire où il ne sera plus député ? Enfin, seule la présidence du gouvernement étant politiquement intéressante, qui conduira les listes du Front populaire aux élections législatives pour porter à l’ARP un groupe parlementaire fort ? Pourquoi pas alors Hamma Hammami ?

Car Mongi Rahoui, qui est un homme pressé, pourrait attendre la prochaine mandature : aujourd’hui il est un candidat précipité et inachevé.

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