Échec et mat au technocapitalisme made in USA ?

Dans le monde globalisé que nous avons construit au cours des trente dernières années, la guerre tarifaire se joue partout, même dans le silence des mines et des laboratoires industriels. Il n’y a pas de chars ou de missiles, mais des éléments chimiques aux noms inconnus : terbium, dysprosium, gadolinium, samarium... Ils sont les terres rares, le cœur battant du technocapitalisme. Il n’y a pas de smartphone, d’éolienne ou d’avion militaire qui puisse fonctionner sans eux. Mais surtout, il n’y a pas d’autonomie industrielle ou de souveraineté géopolitique sans le contrôle de ces éléments.

Le nom qu’on leur donne est trompeur : ce ne sont pas des métaux rares parce qu’ils sont difficiles à trouver, mais parce qu’il est complexe de les isoler, de les affiner et de les intégrer dans des chaînes de production. Et c’est là que la Chine entre en scène. Lorsque l’Occident a délocalisé, réduit, démantelé des chaînes industrielles entières au nom du profit à court terme, Pékin s’est construit, pièce par pièce, un formidable monopole dans le secteur des terres rares. Aujourd’hui, la Chine contrôle plus de 80 % de la capacité mondiale de raffinage de ces métaux. Ce n’est pas une dépendance économique, c’est une sujétion structurelle.

La récente décision de Xi d’imposer des restrictions sur les exportations vers les États-Unis de sept terres rares n’est que la dernière mesure d’une stratégie à long terme. Face aux tarifs américains, Pékin agit, on aimerait dire avec élégance, et montre qu’il est capable de bloquer des secteurs industriels entiers avec un simple décret. Il n’y a pas besoin de guerres commerciales déclarées, il suffit d’arrêter l’exportation d’un métal clé pour mettre en difficulté des chaînes d’approvisionnement technologiques occidentales entières.

L’assujettissement est particulièrement dramatique aux États-Unis, qui ne disposent pas d’usines de séparation opérationnelles pour la plupart des métaux touchés. La seule mine en activité, à Mountain Pass en Californie, est une exception isolée dans un désert industriel. Et l’Europe ? Il est encore plus en retard.

Il a fallu la leçon des terres rares pour nous rappeler que dans un monde globalisé, la souveraineté ne s’exerce plus par la force militaire, mais par le contrôle des technologies et des ressources qui les alimentent. Et aujourd’hui, les technologies du futur – énergies renouvelables, intelligence artificielle, défense avancée – se nourrissent de ces matériaux. Ceux qui les possèdent, ou plutôt ceux qui contrôlent leur traitement, peuvent influencer l’économie mondiale autant et plus que les banques centrales ou les bourses financières.

La Chine l’a compris depuis longtemps. Ce n’est pas le cas de l’Occident. Trop occupé à courir après les bénéfices trimestriels, il a lâché l’industrie manufacturière, abandonné les mines, oublié la valeur stratégique des matières premières. Et maintenant, il se retrouve à faire face à cette réalité : le monde qu’il a conçu, basé sur une division mondiale et hiérarchique du travail, s’effondre. S’agit-il d’une sorte de revanche de l’économie voyou qu’il a déclenchée avec la chute du mur de Berlin ? Peut-être que oui ! Les terres rares ne sont pas seulement des ressources. Ils sont un symbole. Ils représentent la ligne de fracture entre deux modèles de développement capitaliste : l’un qui construit stratégiquement, l’autre qui consomme et dépend.

Dans ce nouvel ordre mondial, une révolution industrielle et politique est nécessaire. Il faut reconstruire les capacités de production, investir dans la recherche, et surtout repenser les alliances sur la base de critères qui ne sont plus seulement idéologiques, mais matériels. Les guerres de l’avenir ne seront pas pour le pétrole. Il s’agira du dysprosium, du scandium et du néodyme. Et ceux qui restent là et regardent risquent de se déconnecter avec la batterie de leur smartphone.

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