Rue des maléfices : Jacques Yonnet.

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« Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu hais. »

Jacques Yonnet est cet écrivain « confidentiel » que j’ai lu et relu récemment, grâce aux conseils avisés de Didier Goux. Si sa production est restreinte, le tout se limitant à des poèmes, des nouvelles et articles de journaux, son talent est de ceux qui squattent vos pensées pendant longtemps, des ceux qui marquent comme un tatouage sur la peau. Jacques Yonnet était un électron libre, préférant l’odeur de la vie à la cuistrerie des grands « militants engagés » qui ne sont souvent que les tortionnaires de demain : résistant, anticonformiste, poète, conteur, vagabond, grand érudit, il est le grandissime et fin connaisseur de l'histoire de Paris.

Jacques Yonnet est mort un mois d'août de l'année 1974, à l'âge de 59 ans. Un mois idéal pour prendre congé, aurait-il pu écrire si l'ankou lui avait laissé le temps. Ce livre, paru initialement sous le titre « Enchantements sur Paris » est le seul qu'il publia.

Avec Yonnet on approche Paris comme on hasarde la conquête d'une femme qu'on sait trop belle, trop mystérieuse, trop inaccessible, tant tout en elle suggère des envies furieuses. Gagnée ou perdue, la partie se doit d'être jouée.

Dès les premières lignes on sent que la chose ne va pas vous lâcher le train de sitôt. Le souffle tiède des nuits mouffetardes vous enveloppe et, vous tirant par la manche, vous entraîne dans une randonnée exceptionnelle. De la base au sommet, la pyramide de l'inconscient fait l'objet d'un mouvement continuel. Du faux plat aux collines escarpées ; de l'avenue à la ruelle, Paris se dénude tout en conservant sa dignité. Nous sommes à Paris pendant l'occupation. Paris occupé. Paris préoccupé. Paris privé. Paris débrouillard. Paris vivant, encore et toujours. Paris collabo et Paris résistant aux vents mauvais de l’histoire par une force qui lui est propre.

Des souffleries de ses forges secrètes s'échappe l'oxygène de la vie et de sa démesure. De sa poésie. De sa beauté et de son incroyable vitalité. Paris, dont Jacques Yonnet fouille l'histoire à coup de semelles pour nous rendre une copie pleine d'amour, de passion et de rêve, dans un style d'écriture somptueusement vivant. Dans une ambiance nocturne oppressante, mais poétique, le crépuscule se faisant jour, c'est toute l'histoire d'une ville qui vous apporte sa formidable créativité. Entre Mouffetard et Gobelins, ça grouille d'une faune colorée qui vit ou vivote au rythme d'une histoire faite de sortilèges, de croyances et d'architecture mentale échappant à la logique de la science cartésienne. Une géographie où la vérité, cherchant à se frayer un chemin dans les méandres d'un monde surréel, offre des accents pathétiques aux passants.

La poésie n'ayant que faire des craintifs, respire le grand air. C'est le défilé des bataillons de la « cloche », de la vie poussant le bitume vers les nuages, guidée par on ne sait quel vent hasardeux mais salutaire. Sous les enseignes des « Quatre Sergents », chez Olivier, celle du « Vieux Chêne », ou encore « Aux trois mailletz », on y croise, selon l'humeur, outre les habitués, Flora l'Hallucinée ; l'Amiral, gardien de phare de son état ; Pépé la Lope, amputé, et pas que de la jambe ; Pierrot la Bricole et autres Léon la lune. Le Paris-Bouge est à l'œuvre, avec Danse-Toujours, Dolly-Longue-à-Jouir, Mina-La-Chatte et autres graines d’avenir. Dans ce pari, Paris est à la fête. Une drôle de fête. Dans cette farandole, la gitanerie a, elle aussi, son mot à dire et, parce que l'aventure est humaine, elle se lit aussi bien entre que dans les lignes de la main. Magnifique !

A la suite d'une succession d'événements malheureux que la presse à sensation des années 50 du 20ème siècle voulut inexplicables, donc magiques, on fit à ce livre et à son auteur une sorte de publicité dont ils auraient pu, l'un et l'autre, se passer. Dans le dernier chapitre de l'ouvrage, ajouté des années plus tard, intitulé « Où l'auteur vous parle à bâtons rompus », Jacques Yonnet fait le point sur ce procès en sorcellerie, mettant l'accent là où il doit être mis. Entaché d'ésotérisme, le livre eut à pâtir d'une certaine presse et de certains journalistes, parmi lesquels monsieur Louis Pauwels.

Dans un article publié dans « Carrefour », une espèce d'hebdomadaire grand public, il s'en prenait à la rue Mouffetard et à ses « clochards magiciens », à ses « rois gitans », à l'origine d'on ne sait quelles aventures d'occultisme et de magie noire. La magie ayant ponctuellement fait les affaires de la presse au rabais, voici un extrait du portrait que monsieur Pauwels dressait de Jacques Yonnet dans son papier : « Poète, aventurier des ruelles nocturnes, historiographe et peut-être détenteur d'assez importants secrets… » Diantre ! Il n'en fallait point davantage pour émouvoir une opinion toujours aussi facile à manipuler. Pauwels qui se laissa dériver des rives du PC à celles du Fig Mag, à qui nous devons par ailleurs un assez bon « Matin des magiciens », en collaboration avec Jacques Bergier, trouvait peut-être dans le talent de Yonnet de quoi nourrir une certaine frustration.

Longtemps après sa disparition, Jacques Yonnet reste ce poète du verbe qui parle si bien de la Ville, de cette part d’ombre qui rend sa lumière si vive ! De son histoire dans le temps et dans l'espace. Homme d'un seul livre, comme d'autres le sont d'une seule femme, Jacques Yonnet est un écrivain formidable. Illustré par des photographies de Robert Doisneau et des dessins de l'auteur, voici un ouvrage d'exception. Si vous n'avez jamais vu deux pierres se tirer la gueule et que vous voulez vous instruire sur le sujet, c'est chez Yonnet qu'il faut se rendre.

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