L’Algérie dans la nasse des Emirats

C’est au travers d’une déclaration publique du Haut Conseil de sécurité que l’Algérie a dénoncé des « agissements hostiles » attribués aux Emirats. La situation est beaucoup plus grave et humiliante pour l’Algérie que ne le laisse croire cette déclaration.

Les Emirats, en fait, alimentent un nouveau front militaire hostile à l’Algérie, à ses frontières Sud, les plus vulnérables et les moins contrôlables. Sa fonction est à minima de se transformer en abcès de fixation paralysant encore plus l’Algérie et visant surtout son plus grand isolement au Sahel et une montée des hostilités à son égard. Dans cette région où, jusqu’alors prédominante, l’influence algérienne est en net recul, le but est d’ouvrir la voie à une reconfiguration des alliances notamment au profit du Maroc et d’Israël, les deux alliés stratégiques des Emirats.

Le 25 janvier, cette stratégie a connu son premier aboutissement: la junte malienne tout en s’attaquant avec une rare violence aux autorités algériennes, met fin unilatéralement aux accords d’Alger, et avec effet immédiat.

C’est le plus cuisant et le plus humiliant échec stratégique et diplomatique de l’Algérie depuis son indépendance.

Une impasse stratégique algérienne

C’est l’aboutissement d’une stratégie déployée à peu de frais par les Emirats. Ils n’ont fait que fructifier les impasses stratégiques dans lesquelles l’Algérie s’est elle-même enfermée. Ces impasses, c’est d’abord et surtout le résultat de l’incompétence, de la gabegie et de l’arrogance ignorante à l’égard des pays du Sahel qui ont fini par aboutir au basculement du Niger et du Mali dans l’opposition à l’Algérie alors qu’ils en étaient des alliés inconditionnels. C’est l’image et la perception de déliquescence renvoyée par l’Algérie au point de donner autorisation à des pays aux structures militaires pourtant très fragiles, de passer à des actes militaires hostiles à son encontre comme celui de la guerre du Mali contre les acteurs liés à l’Algérie, à ses frontières mêmes.

Le plus grave pourtant est que cela se soit fait essentiellement grâce à l’appui des milices Wagner. Milices étrangères appuyant un régime et des actes hostiles à l’Algérie, elles se trouvent aujourd’hui à ses frontières. Elles menacent d’autant plus sa stabilité qu’il s’agit de militaires non conventionnels aux pratiques douteuses, criminelles et incontrôlables comme le sont celles de toute milice. Leur présence vient surtout percuter et mettre à mal la relation stratégique avec la Russie dans laquelle s’est exclusivement enfermée l’Algérie et fait que se trouvent interrogée voire désarmée la sécurité fondée sur cette relation combien importante pour l’Algérie.

C’est pour enfoncer encore plus l’Algérie dans cette impasse que les Emirats interviennent. Ils le font en cherchant à créer un abcès de fixation militaire aux frontières Sud de l’Algérie. Ils le font d’une part en recréant au Mali l’alliance qu’ils avaient déjà scellée avec succès en Libye avec les milices Wagner aux côtés desquelles elles ont combattu et qu’elles ont largement financées pour le compte du général Haftar. Comme ils l’ont fait en Libye, les Emirats se sont engagés dans le financement et l’appui à ces milices dans la lutte « anti-terroriste » car maintenant que le pouvoir malien y inclut officiellement les populations Touaregs, par nature transfrontalières, les combats aboutiront à des tensions avec l’Algérie d’autant que sont ciblées prioritairement les factions liées avec celle-ci.

Par ailleurs, ils apportent leur aide militaire et financière au régime malien pour, en jouant sur l’irritation de celui-ci à l’égard d’un régime algérien se comportant souvent en suzerain méprisant et inculte, renforcer une hostilité qui a déjà atteint le stade de la tension militaire. Ainsi tout en faisant basculer le Mali et ses voisins du Sahel dans le giron de l’influence marocaine, ils paralysent l’Algérie par un abcès de fixation sécuritaire sur ses frontières les plus vulnérables et cela en déstabilisant sa relation stratégique avec la Russie, parrain des milices Wagner et nouveau parapluie militaire du Mali. Un Echec et Mat.

La cécité volontaire du régime algérien

Si la gravité de la réaction algérienne illustre la forte inquiétude qui s’est saisie des dirigeants algériens, il est difficile de croire à une subite révélation sur un pays dont la stratégie et les agissements publiques et assumés ont toujours été, et depuis longtemps, contraires aux intérêts algériens.

La question qui vaille donc d’être posée, c’est le pourquoi de cette cécité volontaire du régime algérien.

Cet « ami qui veut du bien » à l’Algérie et avec lequel celle-ci s’est engagée dans une coopération stratégique y compris dans le secteur névralgique de sa défense en lui en confiant des pans essentiels, a toujours endossé avec évidence le rôle de VRP assumé d’Israël et du Maroc dans la région et celui d’acteur dans tous les conflits aux frontières de l’Algérie en tant que soutien des belligérants hostiles à celle-ci.

Dans le conflit libyen comme soutien du général Haftar en association avec le France et les milices Wagner qu’elles ont financées pour le compte du général ; en soutien diplomatique du Maroc dans le conflit du Sahara occidental et en financeur de son armée et intercesseur pour l’acquisition de technologies militaires israéliennes comme prélude à la normalisation ; en Tunisie où, tout en pesant sur Kaïs Saied pour renforcer le caractère autoritaire de son pouvoir, ils s’emploient à évincer toute influence algérienne au profit de l’exclusivité de la leur; et au Sahel où, dans le prolongement de leur influence au Soudan, au Sud libyen et au Tchad, ils mènent depuis des années déjà un travail de lobbying contre l’Algérie au profit du Maroc.

La vraie question est donc celle de la cécité volontaire du régime y compris dans « l’Algérie nouvelle » qui a cherché plutôt à renforcer ses relations avec les Emirats.

Cette cécité est celle d’une convergence d’intérêt des deux régimes. Celle d’un double pacte, un pacte de prédation et un pacte autoritaire.

Un pacte autoritaire

Un peu plus d’un mois à peine après sa nomination comme chef d’Etat major et alors que celle-ci était encore à titre d’intérim, c’est à Dubaï que Chengrina choisit de se rendre pour sa première visite à l’étranger et pour y rencontrer les principaux décideurs émiratis alors que le régime vacillant peine encore à s’imposer. Ce n’est pas anodin.

Quand le Hirak se déclenche, cristallisé autour du refus du cinquième mandat de Bouteflika, Gaïd Salah, promoteur et accoucheur de « l’Algérie nouvelle », se trouvait également aux Emirats pour, au contraire, faire appuyer cette candidature qui ne rassurait pas à l’international. Il en reviendra précipitamment pour menacer le Hirak et, par une répression chirurgicale mais néanmoins implacable, imposera un processus électorale aboutissant à une « Algérie nouvelle » sous chappe de plomb autoritaire.

Cet autoritarisme fait écho et répond à la stratégie émiratie depuis 2011pour contrer la vague de revendication démocratique et consistant à tisser un réseau de pouvoirs autoritaires, intervenant pour renforcer ceux en place et agissant pour en faire émerger d’autres à l’instar du coup d’Etat en Egypte et au Soudan, de leur intervention armée en Libye et au Yémen ou de leurs ingérences politiques en Tunisie.

En Algérie comme au Soudan, les Emirats ont pesé contre un période de transition qui aurait posé les jalons d’une démocratisation. Au Soudan où existe une société civile structurée et résiliente, les militaires, après avoir été contraints par celle-ci à accepter le principe d’une transition, ont renversé par les armes l’organe de transition pour finir par se déchirer entre eux. Les militaires algériens, face à une société civile dépouillée de traditions d’autonomie, se sont épargnés une telle intervention et se sont contentés du subterfuge de promouvoir des « civils » en réserve du sérail.

Le dispositif répressif mis en place par Gaïd Salah a été renforcé sous Chengriha allant jusqu’à modifier inconstitutionnellement le code pénal et emprisonnant à tour de bras. Obsédée par l’éradication de toute trace de Hirak dont le traumatisme l’a sérieusement ébranlée, la hiérarchie militaire a rigidifié le pays, paralysé intelligences et compétences, instillé une sclérose qui dévitalise appareils d’Etat et sécuritaires, dissipe savoir-faire et mémoire institutionnelle. Cette « stabilité de la prison » qui, en étouffant le pays commence à l’asphyxier et le déliter, explique principalement les déboires sécuritaires, diplomatiques et culturels et on pourrait y ajouter dernièrement ceux sportifs.

Cet autoritarisme mortifère a trouvé dans les Emirats à la fois un soutien et un incitateur.

Il n’est pas fortuit que le rapprochement avec les Emirats se soit affirmé à partir de 2011 où le régime algérien tentait d’échapper aux bouleversements des printemps arabes. On peut l’attester par la traçabilité des contrats de coopération.

Si Bouteflika avait déjà concédé à ses amis émiratis quelques secteurs d’argent facile comme le Tabac ou l’immobilier, c’est à partir de 2012 que les Emirats investissent dans des secteurs industriels lourds comme l’industrie mécanique ou sidérurgique et qu’un forum économique et une commission mixte sont mis en place. Mais c’est surtout à partir de ce moment que les Emirats s’accaparent de secteurs névralgiques de la défense.

Cette ascension des Emirats correspond, au moins temporellement, avec des recompositions profondes au sein de l’institution militaire algérienne marquées par une marge d’intervention plus grande de la présidence, illustrée notamment par l’implication de Bouteflika dans la nomination de Gaid Salah en 2013 comme vice-ministre de la défense et qui devient un interlocuteur privilégié des Emiratis. Emiratis qui, eux-mêmes, s’emploient à tisser prioritairement des liens avec les acteurs militaires comme on a pu le constater avec l’emprise qu’ils ont sur les militaires égyptiens, soudanais, les militaires « loyalistes » yéménites en même temps que des seigneurs de guerre au Yémen et en Libye ou des paramilitaires comme Hemeti au Soudan.

Un pacte de corruption

Mais le pacte autoritaire s’est construit sur un pacte de corruption. Une corruption qui, jusqu’au jour d’aujourd’hui, par la toile d’araignée d’intérêts qu’elle a tissée, piège le pays et neutralise ses capacités de réaction. Elle explique la passivité voire la paralysie des autorités algériennes face à ce que les Emiratis tramaient au Sahel pourtant en plein jour.

Il y’a à peine quelques mois encore au cours de cette année 2023 finissante et alors même que les actes hostiles des Emirats, devenus trop voyants, inquiètent des responsables sécuritaires, les deux pays conviennent du doublement des investissements émiratis en Algérie et celle-ci décide de porter sa coopération économique à un niveau stratégique avec les Emirats sur des sujets sensibles comme le numérique et les technologies de pointe avec l’argument du renforcement de la souveraineté ( !).

Les décisions sont actées à Dubaï en fin février 2023 au plus haut niveau, entre ministres, alors que se profile l’affaire de la « vrai-fausse » expulsion de l’ambassadeur émirati qui, au travers des déchirements qui traversent l’appareil d’Etat algérien, est venue attester l’importance du poids des Emirats dans celui-ci.

Ce poids s’est déjà illustré spectaculairement dans des secteurs névralgiques de la sécurité. Comme la vente d’armes où les Emirats se sont imposés en fournisseurs obligés pour l’armée algérienne d’armes parmi les plus sophistiquées et les plus chères, qu’ils ne produisent pas et dont ils ne maitrisent pas la technologie. Comme leur mainmise sur l’industrie militaire naissante où leur apport technique est pourtant nul. Ce privilège injustifié donné aux Emirats par les décideurs politiques et militaires s’explique par un pacte de corruption.

Les Emirats sont en effet la plateforme privilégiée d’accueil de rétrocommissions, de blanchiment et d’abri de l’argent de la corruption y compris (hasard ?) pour les milices Wagner et la Russie et ses oligarques qui en ont fait la plateforme de contournement des sanctions. Pour donner la mesure de ce que cette prédation coûte à l’Algérie dans ce seul secteur de l’armement, il faut rappeler que le budget de l’armée représente près de 25% du budget de l’État et qu’il est le premier en Afrique et le 17ème à l’échelle mondiale.

En retour, il y a 200 entreprises privées algériennes aux Emirats. Elles posent question quand on sait le peu d’initiative et de prise de risque d’un secteur privé algérien essentiellement rentier et de toute façon insuffisamment développé et compétitif pour prétendre se projeter à l’international et qui plus est dans un pays où se bousculent les grandes firmes multinationales. Mais où par contre poussent aussi comme des champignons les entreprises servant de blanchiment de l’argent sale auquel les Emirats ouvrent toutes grandes les portes de leurs banques.

Les conséquences de cette corruption ont directement des effets sécuritaires et géopolitiques désastreux au point de relever du sordide comme de retrouver en personnage- clé de la coopération sécuritaire algéro-émiratie le franco-libanais Iskander Safa, considéré comme « agent d’Israël » dans son pays d’origine et propriétaire de l’organe d’extrême droite « Valeurs actuelles » dont le fonds de commerce éditorial est la haine de l’Algérie.

Aussi, au-delà du caractère cuisant de cet échec stratégique et au-delà d’une incompétence avérée difficile à masquer, celui-ci pose de graves questions sur la réalité des intérêts qui habitent l’Etat algérien.

Il ne s’agit pas là d’un match de foot mais du devenir d’un pays et d’une menace sur son existence.

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