Tunisie : le juge Akermi paye son refus de soumettre la Justice à la police

Il n’y a plus d’institution judiciaire, l’ingérence de l’Exécutif est devenue directe» martèlent les avocats des opposants poursuivis dans des simulacres de procédures judiciaires qui frappent aujourd’hui tous ceux qui osent élever une voix critique ou réfléchir aux alternatives à la mauvaise gouvernance dans la gestion de l’État. Depuis le 25 juillet 2021, l’État profond a pu dérouler, sans entraves, son plan de raser l’architecture démocratique née de la révolution en s’attaquant en priorité à l’un de ses piliers, l’indépendance de la Justice.


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Le procureur Béchir Akermi

Le 13 février 2022, le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) est dissous par le Président de la République qui le remplace par une nouvelle instance dont il nomme les membres ; selon lui les juges sont des fonctionnaires et non une autorité. Cet acte sera suivi en juin 2022 par la révocation arbitraire de 57 juges de la chaîne pénale dont 48 bénéficieront d’un arrêt de réintégration du Tribunal administratif, resté sans effet. Un feu vert est dès lors donné aux sanctions et au harcèlement des figures rebelles, à leur tête, les dirigeants de l’Association des magistrats tunisiens (AMT).

Un procureur a été au cœur de cette bataille qui a opposé l’autorité judiciaire à l’Exécutif. Il sera la cible de campagnes de stigmatisation des syndicats de police et de leurs accointances politiques, largement véhiculées par les médias avec l’aval du monde politique. Arbitrairement démis de ses fonctions, il sera assigné à résidence avant même d’être poursuivi au pénal, puis arrêté et même interné en psychiatrie en février 2023.

Abattre Bechir Akermi, le Procureur du Tribunal de Tunis - qui gère près de 60% des affaires enrôlées sur toute la république et a la compétence territoriale pour les affaires terroristes – sera la porte d’entrée de la mise au pas de cette institution judiciaire œuvrant à assurer son émancipation.

Retracer la descente aux enfers de cette personnalité décrite comme « controversée » est un enjeu majeur dans un contexte de désinformation organisée où les victimes sont qualifiées de bourreaux et les forfaits d’actes patriotiques. Il y va de nos droits de citoyens à une justice sereine et équitable.

1- La leçon du procureur

J’ai eu l’occasion de connaître le procureur Akermi en 2017 à l’époque où j’étais en charge de la présidence de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) et j’avoue que le premier contact fut rugueux. C’est un homme d’une forte personnalité, au débit rapide, toujours pressé et peu accommodant. Je venais m’enquérir de certaines de nos plaintes, restées sans suites. Il me répondit : « Je n’ai pas non plus donné suite à celles infondées qui ciblaient votre institution, vous voulez faire votre travail ou camper au Palais de justice avec cette masse de plaintes qui vous feront perdre votre temps et le nôtre ? » Décider de l’opportunité des poursuites était une lourde responsabilité qu’il assumait avec perspicacité dans un contexte où la tendance à régler judiciairement des conflits politiques était au goût du jour.

J’insistais cependant pour qu’il donne suite à l’une de nos plaintes relatives à l’écoute illicite de toutes les lignes de l’IVD par la police politique. Un large sourire fendit son petit visage, comme pour signifier la naïveté de notre demande. Il me répondit « tous les jours je reçois des rapports de police incriminant des suspects arrêtés sur la base d’écoutes réalisées en dehors de tout cadre légal et vides de contenus pouvant être incriminés. Et c’est à moi qu’ils transmettent ces rapports d’écoutes illégales ! Vous n’avez pas idée de la machine à laquelle je fais face. Tout ce que je peux faire, c’est refuser de les valider comme source d’information. » J’appris plus tard qu’il avait eu l’audace de poursuivre le tout puissant directeur général des services techniques (DGST) en charge des écoutes téléphoniques dans une affaire beaucoup plus grave.

Entre mars et décembre 2018, nous lui amenions les actes d’accusations préparées par l’Instance Vérité et Dignité après la décision de prolongation de notre mandat disputée par le pouvoir en place. Je lui dis – un peu provocatrice – « vous allez accepter de les enrôler ou vous allez vous aussi obéir à la consigne de nous boycotter ? Il me répondit en colère «je ne reçois d’ordre de personne ! Je fais ce que la loi dicte et la loi dit que vous avez le droit de proroger votre mandat d’un an ; je me dois de respecter votre décision !» Il continua à recevoir nos actes d’accusation jusqu’au 31 décembre et mit un bureau de l’un de ses substituts à notre disposition afin que les délais ne soient pas forclos. Il ne croyait pas beaucoup en la justice transitionnelle, mais pour lui la loi c’était sacré.

L’été 2021, voyant la nasse qui achevait de l’enserrer, je l’avais incité à communiquer ; je lui proposais un journaliste engagé qui acceptait de recueillir sa parole sans censure. Rendez-vous fut pris, mais il s’est vite rétracté. Akermi appartient à cette génération de juges qui ont une conception restrictive de l’obligation de réserve qu’il confondait avec absence de communication. Lorsqu’il s’y résolut en 2022, c’était trop tard et le média qui lui fit une longue interview s’interdit de la diffuser sous la pression. Akermi avait juste le droit d’être diffamé.

2- La saga des représailles


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Bechir Akermi à l'hôpital psychiatrique

Cette image du président Bechir Akermi à sa sortie de l’hôpital psychiatrique illustre à elle seule le niveau de rabaissement de l’institution judiciaire et de nos mœurs politiques.

Début février 2023, Bechir Akremi est détenu sous de graves charges dont celle de « blanchiment des terroristes » ; Le parquet a confié les investigations à des responsables sécuritaires précédemment poursuivis par l’ancien procureur pour faux et tortures. La saga des représailles ne s’arrête plus. Soumis aux humiliations et aux mauvais traitements, on ira jusqu’à l’interner d’office en psychiatrie le 17 février 2023 ; Libéré par les médecins le 24 février, il est de nouveau interpellé, en toute illégalité par les policiers qui encerclent l’hôpital afin d’empêcher sa famille de l’accompagner à son domicile, puis présenté à un juge d’instruction du pôle antiterroriste, qui le met en liberté provisoire.

Les policiers ne le relâchent pas pour autant et Akermi sera maintenu en détention dans le cadre d’une autre affaire réintentée par des membres du parti Watad – extrême gauche nationaliste arabe – qui portent plainte pour des faits (collision avec les terroristes) déjà examinés par le tribunal de Tunis et ayant fait l’objet d’un non-lieu en 2016, en violation du principe de l’autorité de la chose jugée.

3- Objectif : vassaliser les magistrats et assurer l’impunité des sécuritaires

La première attaque sérieuse contre le juge se fera début 2015, au lendemain des attentats du musée du Bardo et de Sousse ciblant les touristes et occasionnant des dizaines de victimes. En fonction au bureau d’instruction N°13, il fut chargé d’instruire ces deux dossiers brûlants ; Il signa une commission rogatoire confiant les investigations à une équipe de la brigade antiterroriste basée à El Gorjani ; au moment d'interroger les suspects – dont l’arrestation a été triomphalement annoncée par le ministre de l’Intérieur, lors d’une conférence de presse où leurs noms étaient cités– il constata d’« horribles » traces de torture, jetant le doute sur les aveux obtenus ; certaines analyses techniques jointes par les policiers au dossier s’avérèrent falsifiées.

Il décida de leur retirer l’enquête et de la confier à une autre brigade antiterroriste, dépendant cette fois-ci de la garde nationale (gendarmerie) basée à El Aouina ; Ses investigations conduiront rapidement à l’incrimination d’autres suspects, confondus par des éléments tangibles attestant, également, leur implication dans la tuerie de l’hôtel Impérial de Sousse avec ses victimes majoritairement britanniques. Leur culpabilité fut confirmée par tous les degrés de la procédure pénale, aboutissant à leur condamnation aux peines les plus lourdes. Quant aux officiers de Gorjani, il les inculpa pour tortures et falsification. Ce sont ceux-là mêmes à qui le parquet va confier la tâche de l’interroger en 2023.

C’est dans cette ambiance tragique, que les tortionnaires de l’antiterrorisme, fortement épaulés par les syndicats de police, imposeront à une opinion traumatisée et au sens critique émoussé, l’image - aussi fallacieuse que tenace - de « la police qui arrête [les terroristes] et la justice qui [les] relâche ». Une délégation de parlementaires, comprenant des membres du parti Ennahdha, se rendit à El Gorjani avec des bouquets de fleurs pour leur rendre hommage. Bechir Akremi, lui, subissait, dans l’indifférence générale, des attaques sur sa vie privée, au moment où il était félicité par Scotland Yard et loué par l’avocat britannique des victimes du Bardo qui salue sa «décision courageuse ».

La route était balisée pour une guérilla sans merci contre les juges par les syndicats de police pilotés par les services. On se souvient de ce fameux 26 février 2018 où les agents de police armés ont, à l’appel de leurs syndicats, encerclé le tribunal de Ben Arous (banlieue sud de Tunis) et assiégé le bureau du juge d’instruction qui avait « osé » arrêter cinq policiers de la brigade judiciaire de Gorjani, accusés de tortures. Ils sortiront en état de liberté de ce bras de fer. Le ministère de l’Intérieur ne sanctionnera aucun de ces officiers. Ces scènes où les syndicats de police font obstruction à la justice se répéteront à Sfax, Sousse, Kasserine et Mahdia sans que cela ne porte à conséquences.

4-Les agendas douteux des adversaires du juge Béchir Akremi

Sous couvert d’exigence de vérité sur les assassinats des martyrs Belaïd et Brahmi, le parti Watad agissant dans le cadre du « comité de défense des deux martyrs » se joindra sans mesure ni réserves à ces assauts contre Béchir Akremi, chargé de l’instruction de l’affaire Belaid uniquement. Profitant de l’immense émotion causée par ces forfaits d’une gravité exceptionnelle, ils instrumentaliseront politiquement la formidable acuité médiatique de ces évènements tragiques.

Le juge révélera plus tard avoir rejeté les pressions du ministre de la Justice lui demandant de donner suite aux exigences de ce comité en impliquant certains dirigeants du parti Ennahdha. « Je juge en fonction des pièces au dossier, qu’on m’amène une preuve et je les incrimine ! » arguera-t-il. Son refus lui vaudra une comparution devant l’inspection générale qui ne relèvera aucune irrégularité dans sa gestion de l’affaire.

Ses pourfendeurs redoublèrent de virulence ; profitant d’une complaisance médiatique aveugle, ils multiplièrent impunément les accusations les plus outrancières : « escamoter » des éléments du dossier pour « protéger ses soutiens au sein du parti Ennahdha ». Dans ce climat survolté, le juge bouclera l’enquête. Ses conclusions seront confirmées par les autres juridictions ; les recours de la partie civile contre ses décisions furent rejetés par la Cour de cassation. Depuis plusieurs années, l’affaire est portée devant les Cours pénales qui ont accédé à toutes les demandes d’investigations complémentaires de la partie civile sans qu’aucun nouvel élément ne vienne infirmer les conclusions établies par le juge Akremi. Le mystère des commanditaires reste cependant entier.

Révélant un agenda douteux et s’écartant de son objectif proclamé, le « comité de défense des deux martyrs » élargira ses cibles et multipliera les coups de mains ; en septembre 2019 il organisa l’occupation du bureau du procureur auprès du tribunal de première instance de Tunis, dont le juge Akremi avait la charge, paralysant le travail du parquet durant une journée entière, sans que cela ne prête à conséquence. Puis, il multiplia vainement les plaintes administratives et pénales contre lui, ressassant à l’envi, les accusations d’« entraver l’établissement de la vérité » et même de « soutien au terroristes », tout en bénéficiant de la bienveillance de médias complaisants.

Le 9 février 2022, au cours d’une conférence de presse de deux heures, intégralement retransmise en direct par les médias publics, ce comité s’en prend au Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), exigeant sa dissolution et annonçant la tenue d’un rassemblement de protestation devant son siège. Leurs vœux furent exaucés par le Président de la République quelques jours plus tard.

A leur instigation, le 6 février 2023, la ministre de la Justice annonce la création d’un comité chargé du suivi de l’affaire Belaïd/Brahmi sous sa tutelle directe qui « vise à tenir responsable de leurs actes tous ceux qui ont perturbé l'avancement des dossiers, enfouir les preuves et influencer le cours de la justice. ». C’est on ne peut plus clair, la justice n’est plus l’affaire des juges mais des politiques !

Les médias mainstream vont jouer un rôle clé pour couvrir ces plans de légitimité révolutionnaire et diffuser leurs messages toxiques de façon constante. L’épouvantail islamiste servira d’outil de captation pour rallier une opinion frileuse et les fautes politiques incontestables du parti Ennahdha durant la dernière décennie seront habilement exploitées pour détourner le regard de l’opinion publique de la vraie menace qui déferlait sur la société et ses institutions, l’État policier.

5- Les premiers pas d’une Justice indépendante bridés

Le juge ne fut pas intimidé par toutes ces attaques. En 2016, il postula au poste, devenu vacant, de procureur du tribunal de première instance de Tunis. Contrairement à tout ce que les médias ont véhiculé, ce n’est pas Noureddine Bhiri, alors ministre de la Justice, qui avait nommé Bechir Akermi, mais l’Instance provisoire pour la supervision de la justice judiciaire (IPSJJ) créée en mai 2013 par la loi organique n° 2013-13 en attendant la mise en place du CSM définitif. Une équipe de magistrats indépendants (pour la majorité membres de l’AMT) sont élus par leur corps pour diriger ce CSM provisoire qui comprends parmi ses membres des avocats et des professeurs universitaires élus par leurs pairs.

L’IPSJJ avait désormais la compétence de veiller sur le déroulement de la carrière professionnelle des magistrats (nomination, promotion, mutation et discipline) et va mettre en œuvre, malgré une résistance farouche de l’Exécutif, les premières mesures consacrant l’indépendance de la justice durant trois ans. L’élément principal de cette indépendance, l’inamovibilité des juges - consacrée par la Constitution de 2014 – qui signifie l’impossibilité de les muter sans leur consentement, levait ainsi le verrou qui enserrait leur libre arbitre en les soustrayant aux pressions politiques. Malheureusement, ce principe sera égratigné plus tard par le CSM (infiltré par la vieille garde) qui verra le jour en 2016 – il contournera ce principe par le recours excessif à « la mutation pour nécessité de service » prévue par la loi pour des situations exceptionnelles - dans un contexte de compromissions politiques (Nida-Ennahdha), qui vont vider de sa substance la réforme proposée par les structures professionnelles (AMT).

Si l’ère post révolution avait commencé à lever la chape de plomb exercée sur la Justice, elle léguait cependant un champ de mines qui exigeait une vigilance de tous les instants. Il n’y avait plus un seul prétendant à la mise sous tutelle de l’institution, comme sous Ben Ali, mais plusieurs.


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Bechir Akermi avec l'UNODOC

Akermi s’affirmera au cours de cette période comme l’un des meilleurs juges anti-terroriste grâce à son talent et aux formations spécialisées dont il bénéficiera, en crime organisé et techniques d’investigation dans les affaires de terrorisme proposée par les Nations Unies (UNODC), l’OCDE, le Conseil de l’Europe, Eurojust et dans des instituts spécialisés. Tous ces organismes peuvent témoigner de son professionnalisme, certains lui décerneront des distinctions.

Que le nouveau procureur de Tunis – qui avait sous son autorité les deux pôles du terrorisme et de la corruption - ait pu commettre des erreurs en s’essayant à cet art d’équilibriste, nul ne peut l’en absoudre à priori, mais nul ne peut lui dénier d’avoir essayé de mettre le parquet de Tunis sur le chemin de son indépendance de l‘exécutif.

6- Le combat de Akermi contre l’impunité policière

Akermi n’a pas hésité à poursuivre plusieurs cadres sécuritaires haut placés et soupçonnés d’avoir trempé dans de graves crimes : (assassinats, tortures, écoutes illicites, corruption, falsification) ; n’hésitant pas à procéder aux interpellations et aux perquisitions nécessaires aux enquêtes en question. Après les tensions lors des attentats de Sousse et du Bardo, deux événements vont illustrer cet affrontement dans la lutte contre l’impunité policière :


Le faux attentat de Mnihla en mai 2016 : Deux citoyens tunisiens ont été liquidés en dehors de tout cadre légal et tués de sang-froid dans une mise en scène scabreuse d’un faux attentat mettant en cause la responsabilité directe du ministre de l’Intérieur. Les médias salueront « un coup de maître » du ministère. Là encore le Procureur Akermi n’hésite pas à le convoquer avec près de 25 hauts cadres sécuritaires. L’enquête révélera le faux attentat préparé au sein du ministère, imitant le modèle algérien de la décennie noire. Plus tard, le ministre démis sera appelé à une audition au parlement. L’affaire n’a pas encore été jugée et les suspects toujours en poste.

L’inculpation du directeur des services techniques confondu d’avoir mené des opérations d'écoutes téléphoniques hors la loi et sans autorisation judiciaire ciblant des hommes politiques, des agents de sécurité et des hommes d'affaires au profit de certaines parties non autorisées, achèvera de les dresser contre lui. Akermi n’a pas hésité à poursuivre ces hauts cadres sécuritaires dont l’évocation du nom faisait trembler à l’avenue Bourguiba, siège de la Dakhilya. Pour la première fois dans l'histoire de la justice tunisienne, une perquisition a été opérée dans le siège de la DGST en présence du substitut du procureur de la République, et tous les éléments prouvant ces abus saisis. Confondu également pour des faits de corruption, le haut cadre sécuritaire prendra la fuite.

7- Le Retour de manivelle ou la mise à mort professionnelle

Avant d’être jeté en pâture à la police politique, Akermi a été sacrifié par les structures de son corps (le CSM compte parmi ses membres des responsables de l’ancien régime, et notamment l’auteur du coup de force de 2004 contre l’AMT diligenté par Ben Ali). Son nom sera associé au juge corrompu qu’il a contribué à démasquer, bien que les enquêtes de l’inspection concluront à son innocence dans un premier temps. Il servira ainsi d’exemple à ceux qui seraient tentés de s’essayer à l’exercice de l’indépendance.

A l’origine de ce lynchage, une enquête qui lui a été confiée le 7 janvier 2021, par le CSM relative à une suspicion de corruption mettant en cause le Premier président de la Cour de cassation qui a émis un verdict au mois d’août 2019 dans une affaire de corruption financière impliquant des hommes d’affaires et des politiciens. Ses investigations ont confirmé les soupçons de corruption du juge qui était intervenu directement pour que des « décisions de cassation sans renvoi » (le jugement de la cour d’appel est cassé mais n’est pas renvoyé devant une Cour d’appel, ce qui transforme le jugement en acquittement de fait) soient édictées !

Ces décisions soustrayaient près de 6000 millions de dinars au Trésor public. Le 20 août 2021, alors qu’il était en train de mener ses investigations sur cette affaire, le Conseil de la justice judiciaire (CJJ, partie du CSM) décide de le suspendre de ses fonctions et de le déférer devant le parquet. Or il se trouve que le juge accusé de corruption est membre es-qualité du CJJ et compte des « alliés » au sein de ce Conseil qui cherche ainsi à interrompre les investigations de Akermi en décidant de le muter en dehors du mouvement annuel.

En dépit de cette décision, il avait réussi à boucler l’enquête en début septembre et transmettre son rapport au CJJ et à l’inspection, l’informant de ses conclusions et demandant la levée de l’immunité du Premier président de la Cour de cassation pour que les poursuites puisent être engagées. Par des complicités évidentes, le ministère de la Justice le maintiendra en poste pendant six mois encore durant lesquels il continuera à mener ses activités suspectes.

Akermi sera déféré devant la justice en même temps que celui dont il a révélé la corruption et son nom sera désormais associé par les médias au juge corrompu. Le 31 décembre 2021, le Tribunal administratif annule la décision du CSM relative à sa mutation suite à son recours, mais le Conseil de la justice judiciaire refuse de se conformer à la décision du tribunal appelant à sa réintégration dans son ancienne fonction. La saga judiciaire peut maintenant avoir libre cours.

Le cas Béchir Akermi est emblématique du pouvoir redoutable de la machine de désinformation qui réussit à intoxiquer une élite politique et associative et lui faire perdre sa capacité à identifier les vrais enjeux de l’Etat de droit. Heureusement, la désinformation autour de la « tentative de coup d’Etat » dont sont accusés actuellement les opposants arbitrairement détenus n’a pas pris. La leçon vaut pour tous ceux que l’on jette en pâture à un lynchage médiatique organisé ; les vrais ennemis de la démocratie ne sont pas toujours ceux qu’on nous désigne, la vigilance est de rigueur, les révélations de Forbiden stories sont édifiants sur cette question.

La solidarité avec le juge Akermi pour la préservation de sa liberté et de son intégrité physique et mentale est un devoir dont l’enjeu est la préservation des droits des citoyens à une justice sereine et impartiale.

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