Trois vecteurs et neuf fronts de la guerre hybride actuelle contre la Chine

Les barrières commerciales et technologiques, la promotion du séparatisme, les campagnes médiatiques, un intense espionnage et le piratage informatique complètent le siège militaire.

Le concept quelque peu déroutant de « guerre hybride » est souvent utilisé pour décrire toute la panoplie des pressions et des actions militaires, diplomatiques, des services secrets, de la désinformation, de la propagande et des attaques numériques utilisées contre une puissance opposée. Il ne décrit pas une nouvelle réalité - la guerre froide traditionnelle du monde bipolaire contenait déjà presque tout cela - mais il incorpore les nouvelles possibilités non conventionnelles de sabotage et de désinformation ouvertes par les nouvelles technologies, notamment numériques. Ces possibilités sont aujourd’hui une ressource générale de toutes les grandes puissances.

Dans les relations entre les États-Unis et leurs alliés militaires contre la Chine, la « guerre hybride » a trois vecteurs majeurs : la pression militaire et politique des pays voisins, la « politique des droits de l’homme », c’est-à-dire l’utilisation propagandiste et sélective des méfaits des l’adversaire via des campagnes médiatiques avec une concentration particulière sur la promotion du séparatisme et la pression économique commerciale et technologique. Au sein de ces trois vecteurs généraux, on distingue actuellement neuf fronts d’action ouverts. [1]


• 1 - Siège militaire. Depuis sa fondation, la République populaire de Chine a été entourée par un encerclement militaire de bases et de moyens disposés autour de son périmètre. Actuellement, ce périmètre s’étend de la péninsule coréenne à l’Afghanistan, en passant par le Japon, le détroit de Malacca, l’Australie et l’océan Indien, avec des dizaines de milliers de soldats stationnés en permanence. Le Quad Security Quartet est une alliance militaire formée en 2007 par les États-Unis, le Japon, l’Australie et l’Inde dans le but de contenir l’influence chinoise dans la région Inde/Pacifique. L’Australie s’est retirée du club en 2008 à l’initiative de son Premier ministre d’alors Kevin Ruud, mais elle est revenue en 2017. Depuis, cette alliance a été revitalisée.


• 2 - Raids aériens et patrouilles navales périodiques des États-Unis dans la mer de Chine méridionale. C’est une pratique qui remonte à loin mais qui s’est intensifiée depuis 2009 et notamment depuis l’annonce du président Obama, en 2012, de transférer de l’essentiel de son potentiel militaire aéronaval, le Pivot vers l’Asie. La Chine revendique sa souveraineté sur la mer de Chine méridionale, qui ne porte pas son nom par hasard et qui, depuis des siècles, est la route de sortie de la zone commerciale la plus animée du monde. La Chine possède une zone maritime exclusive de 900 000 milles, aux côtés des 9,6 millions de milles des États-Unis dans le Pacifique, 6,9 millions de la France et 3,5 millions de l’Australie. Cette réalité encadrée est une conséquence historique d’un système juridique issu de l’ère coloniale. Du point de vue de l’histoire chinoise ancienne, cette époque est une brève parenthèse. Les raids actuels ont créé des frictions et sont une source dangereuse de futurs possibles accidents et conflits militaires.


• 3 - Intense activité d’espionnage de la CIA en Chine. C’est un domaine logiquement opaque dont on ne sait que ce que les agences impliquées veulent faire savoir, via leurs fuites à travers les médias. A titre d’exemple, le rapport du New York Times de mai 2017 dans lequel il rapportait l’arrestation et/ou l’exécution de « plus d’une douzaine » d’informateurs de la CIA entre 2010 et 2012. L’espionnage en Chine est « l’une des principales priorités de l’agence », a déclaré le rapport, selon lequel l’opération chinoise a paralysé les activités de la CIA dans le pays pendant des années. [2]


• 4 - Piratage généralisé par la CIA d’industries et d’agences chinoises. En mars 2020, la société de sécurité chinoise Qihoo 360 a annoncé la découverte d’une action de piratage généralisée initiée en 2008 par la CIA contre des entreprises de l’énergie, de l’aviation et de l’Internet, ainsi que des institutions scientifiques et des agences gouvernementales. Le rapport a noté qu’une telle action aurait pu saisir les informations commerciales chinoises les plus secrètes, y compris des choses comme le suivi en temps réel du trafic aérien personnalisé de passagers et du fret sur les avions des entreprises chinoises. [3]


• 5 - Campagnes médiatiques. La création et la promotion d’un état d’opinion défavorable à la Chine, mettant l’accent sur les aspects les plus négatifs et en marginalisant les positifs, a créé ces dernières années toute une école qui rappelle celle créée contre l’URSS dans les médias, les universités et les laboratoires d’idées pendant la guerre froide. La critique sectaire et propagandiste de la Chine et de son système, faisant souvent écho aux opinions des agences de sécurité ou du département d’État US, est un facteur de réussite professionnelle pour les journalistes et les chercheurs. Défendre des positions neutres ou pro-chinoises est une promesse de marginalisation professionnelle.


• 6 - Soutien et promotion du séparatisme à Hong Kong et à Taiwan. Créer une instabilité dans l’ancienne enclave coloniale britannique est fondamental non seulement en soi, mais surtout pour compliquer tout horizon de réunification nationale avec Taiwan, le seul territoire chinois déchiré par le colonialisme et non encore intégré à la RPC. A Taïwan, une identité et une personnalité différenciées de la Chine continentale sont nées, donc tout scénario de réunification passe par un accord qui inclut une autonomie marquée pour l’île. De ce point de vue, Hong Kong, qui est un territoire autonome de la RPC, peut être vu comme un miroir pour Taiwan. La déstabilisation du territoire a donc des conséquences immédiates pour les Taiwanais. Bien qu’ils reconnaissent le principe « d’une seule Chine » qui à Pékin est considéré comme sacré pour des raisons historiques (clore l’héritage du colonialisme et de la guerre civile), les États-Unis soutiennent, militairement et politiquement, l’indépendance de Taiwan. Depuis 2014, les États-Unis ont soutenu des manifestations civiles à Hong Kong qui ont été extrêmement violentes en 2019, via l’ONG de la CIA, National Endowment for Democracy (NED). [4]


• 7- Déstabilisation au Xinjiang . Depuis 2018, une intense campagne de propagande est en cours pour déstabiliser la région nord-ouest de la Chine, le Xinjiang, qui abrite l’ethnie ouïghoure. Si les 55 minorités ethniques officiellement reconnues en Chine sont divisées en deux groupes, selon leur niveau plus ou moins grand de parenté ou d’affinité avec la majorité Han, les Ouïghours sont la plus grande minorité du groupe le plus différent des Han dans la culture et l’idiosyncrasie. Substance hautement inflammable. L’objectif de la campagne est de dénoncer l’enfermement de « plus d’un million » d’Ouïghours dans des « camps de concentration » [5], opération qualifiée de « génocide » par l’ancien secrétaire d’État Mike Pompeo en 2019 et comparée à la persécution nazie des juifs dans la presse étasunienne. Jusqu’en 2017, le Xinjiang et d’autres régions de Chine ont été le théâtre d’attaques intégristes islamiques ouïghours. Des militants ouïghours ont combattu dans les rangs d’Al-Qaïda et de l’État Islamique en Afghanistan et en Syrie. Le gouvernement chinois mène une dure campagne de déradicalisation dans des « centres » qu’il présente comme « d’éducation », avec des violations et des abus manifestes des droits fondamentaux. La région est la porte d’entrée vers l’Asie centrale pour la nouvelle route de la soie (B&RI), la grande stratégie de projection eurasienne de la Chine. Déstabiliser le Xinjiang entraverait donc un vecteur important de cette projection. L’opposition ouïghoure est soutenue et parrainée par le NED, la ONG de la CIA. A Munich se trouve le siège des séparatistes ouïghours du Xinjiang, dont l’idéologie oscille entre le raciste suprémacisme turc et le fondamentalisme islamique traditionnel.


• 8- Guerre technologique. La Chine maintient une dépendance aiguë vis-à-vis de l’Occident en matière de haute technologie, mais elle progresse avec de gros investissements dans ce domaine et certaines de ses entreprises ont atteint des positions internationales importantes. Couper la communication entre ces entreprises et le reste du monde est vital pour arrêter l’avancée de la Chine. En 2018, les lois US sur la Sécurité Nationale (NDAA) ont établi des restrictions commerciales contre cinq des plus grandes entreprises de télécommunications chinoises. En 2018, l’achat d’équipements à Huawei, leader de la technologie 5G, et à ZTE aux États-Unis a été interdit. Dans un mouvement sans précédent, la même année, le conseil d’administration de Huawei, Meng Wanzhou [6], a été arrêté au Canada à la demande des États-Unis, ce qui a créé un scandale considérable au Canada. En 2020, la société ZTE a été déclarée « menace à la sécurité nationale ». Washington fait pression sur l’Union Européenne pour qu’elle renonce à la technologie 5-G de Huawei.


• 9 - Guerre commerciale. À partir de 2018, le président Trump a mis en place une cascade de tarifs et de barrières commerciales contre la Chine dénonçant ses « pratiques commerciales abusives ». La Chine a répondu par des contre-mesures. La plupart des plaintes étasuniennes font état d’un affaiblissement du secteur public chinois, ainsi que du contrôle étatique de l’économie, l’un des piliers du succès économique de la Chine au cours des dernières décennies.


Notes

[1] L’énumération des fronts par Izak Novak, The War on China. Https://izaknovak.wordpress.com/2020/04/17/62/

[2] Sur l’activité de la CIA en Chine : https://www.nytimes.com/2017/05/20/world/asia/china-cia-spies-espionage.html

[3] Piratage de la CIA en Chine : https://blogs.360.cn/post/APT-C-39_CIA_EN.html

[4] https://ctxt.es/es/20190918/Firmas/28353/Rafael-Poch-Maidan-Hong-Kong-China-imperios-combatientes.htm journal ’People sur le rôle des États-Unis dans les émeutes de Hong Kong : http://en.people.cn/n/2014/1011/c98649-8793283.html . Loi US sur Hong Kong : https://en.wikipedia.org/wiki/Hong_Kong_Human_Rights_and_Democracy_Act

[5] Global Times sur les « camps de concentration » au Xinjiang : https://www.globaltimes.cn/content/1208288.shtml

[6] Affaire Meng Wanzhou : https://en.wikipedia.org/wiki/Meng_Wanzhou

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