
Le président français est aujourd’hui l’enfant gâté des médias et des think tanks des Etats-Unis. En 2016, les États-Unis d’Amérique d’Obama étaient en tête du « Soft Power » : aujourd’hui les USA de Trump ont gaspillé ce « privilège » et Macron l’a récupéré.
La France a pris aux États-Unis et à la Grande-Bretagne le privilège d’être les premières puissances mondiales du « Soft Power », alors qu’en même temps l’Argentine a perdu sa place dans la liste des 30 nations en tête du classement SoftPower.
Au cours des deux mois du mandat, la présidence d’Emmanuel Macron, l’anti modèle absolu de Donald Trump, a poussé la France vers le sommet des puissances coloniales et militaires qui, paradoxalement, incarnent le mieux ce « Soft Power » qui désigne la capacité d’influence et de persuasion d’un État, de ses acteurs politiques, économiques et culturels sur la scène internationale.
Le classement a été élaboré par l’University of Southern California. Center on Public Diplomacy et la société de conseil Portland [1] ; il renvoie à un concept inventé dans les années 90 par le politologue étasunien Joseph Nye, ex-sous-secrétaire d’État sous la présidence de Jimmy Carter et Secrétaire adjoint à la Défense de Bill Clinton.
Jusqu’à l’année dernière, la France occupait la cinquième place dans cette liste, derrière le Canada, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les États-Unis d’Amérique. Le renouvellement de l’image de la France que Macron a modelée à travers la mise en échec du populisme gris de l’ extrême droite lors des élections présidentielles, l’habile diplomatie présidentielle, les narrations politiques recombinées et les épouvantails qu’il a autour, Trump aux États-Unis et la Grande-Bretagne du Brexit, expliquent cette distinction plus que paradoxale dans son ensemble.
C’est une ironie que les puissances mondiales qui ont des milliers de militaires engagés (30 000 soldats français dans quatre différentes opérations extérieures), qui bombardent des régions comme l’Irak, la Syrie ou le Mali, qui assassinent à leur guise des drones, qui manipulent les marchés financiers internationaux, et font ce qui leur chante avec les prix des matières premières, subventionnent malhonnêtement leurs produits, pervertissent les marchés internationaux et recourent aux pires artifices et à toute sorte de pressions, pour soumettre d’ autres pays, puissent être les championnes du « SoftPower ».
Cependant, cette réalité centrale n’enlève aucune pertinence au concept de Joseph Nye parce qu’à partir de celui-ci les États ont reconfiguré la perception de leur pouvoir d’influence et, surtout, leur communication politique.
Le classement comprend 30 États « influents » et parmi eux, cette année, figure un seul pays latino-américain, le Brésil, qui est passé du 24ème rang en 2016 au 29ème. En 2016, l’Argentine était à la trentième place, qu’elle a désormais perdue au bénéfice de la Turquie.
Le Chili, l’Argentine et le Mexique apparaissent comme des outsiders à la trente-deuxième, trente-troisième et trente-quatrième position et représentent, selon le rapport, une « promesse » de SoftPower pour l’avenir. (Consulter le Rapport complet en anglais : Soft Power 30. À ranking Global Soft Power 2017). Le rapport affirme que le succès de pays comme l’Argentine et le Mexique dépendra de leur progrès « dans des domaines faibles comme les entreprises et la gouvernabilité ».
Les auteurs expliquent qu’alors qu’en 2016 l’Argentine est entrée parmi les 30 États SoftPower « appuyée par l’élection de Mauricio Macri et une vague de positivité », maintenant l’Argentine pourrait « améliorer son attrait sur le plan économique et culturel avec un but plus actif de l’entreprise et du gouvernement » afin de « dépasser sa stagnation ».
Emmanuel Macron est aujourd’hui l’enfant gâté des médias et, surtout, des think tanks US. L’Occident invente et distribue ses prix parmi ses amis. L’idée du SoftPower surgit du livre « Bound To Lead : The Changing Nature Of American Power » publié dans les années 90 par Joseph Nye en opposition frontale au « hard power » et aux théories du déclin qui circulaient alors, promues surtout par des gens comme Paul Kennedy. Le pouvoir mou s’oppose au concept de pouvoir dur et à ses axes forgés dans la force et dans des coalitions militaires, politiques et économiques.
C’est son exact contraire. En 90, en pleine apogée des théories sur le déclin de la puissance US (les déclinistes) Joseph Nye a changé le schéma d’analyse. Selon son livre « Bound to Lead », qu’il a publié en 2004 (« Soft Power ») le SoftPower est, dans son ensemble, l’influence culturelle d’une société, son attrait social, son attractivité.
C’est, en somme, Steve Jobs, Hollywood, le rock, la littérature, la nourriture, les nouvelles technologies, Facebook ou la Silicon Valley. Est venue à l’esprit de Nye, la brillante idée d’incorporer ces valeurs dans la conception du pouvoir de persuasion et, à partir de là, il a affirmé qu’il n’y avait pas de déclin mais, que plutôt, la puissance, le pouvoir, avaient changé de fréquence. Nye a transformé pour toujours la notion simplement binaire du pouvoir, du bâton et de la carotte.
Le politologue a expliqué que grâce à leur diplomatie, leur prestige, leur capacité de communiquer-le déjà fameux « storytelling » [Le Récit]-, leurs discours attractifs, leur masse inégalable d’offres culturelles les États-Unis non seulement conservaient tout leur pouvoir intact mais, en plus, grâce à leur SoftPower étaient parfaitement capables d’attirer des alliés et d’influencer les décisions internationales.
Dans son rapport annuel « The Soft Power 30 », l’Université de Californie du Sud et la société de conseil Portland ont placé ainsi la France en tête du classement, devant la Grande-Bretagne, les États-Unis, l’Allemagne et le Canada. En 2016, c’étaient les États-Unis de Barack Obama qui étaient à la tête du Soft Power. En 2017, les USA de Trump ont gaspillé ce privilège et il a été récupéré grâce au « dynamisme apporté par l’élection d’Emmanuel Macron ».
Les auteurs du rapport se basent sur une série de critères et de données extraites de six catégories : gouvernabilité, culture, éducation, engagements mondial, entreprises, secteur numérique, et d’un sondage qui prend en considération la perception des touristes.
Malgré tout, ils reconnaissent que le saut français est le produit d’une combinaison d’accidents qui vont du chaos du Brexit, au triomphe du tumultueux twittero boxeur ignorant de Donald Trump et de sa pierre philosophale l’ « Amérique First », et à la victoire même de Macron aux présidentielles d’avril et de mai 2017. Dans ce sens, dans le rapport, Joseph Nye lui-même, commente que « le désir ardent de Donald Trump que les Etats-Unis soit premier continue à dynamiter le SoftPower US ».
L’Argentine est sortie en 2017 du classement des 30 où elle figurait en 2016. Dans la section consacrée au pays (Soft Power and public diplomacy in Latin l’Amérique : À view from l’Argentine p. 78), l’auteur, Tomás Kroyer (Coordonnateur au ministère des Affaires étrangères [argentin]), se montre panégyriste avec le gouvernement Macri et ce qu’il nomme « sa diplomatie d’ouverture » à toutes les régions du monde ainsi qu’avec ses objectifs, qui, écrit-il, « ont suscité un fort appui à l’échelle mondiale pendant les 18 premiers mois du mandat ». Malgré tout, il y du chemin à parcourir, comme pour l’ensemble de l’Amérique Latine.
Le chapitre sur l’Argentine, qui est d’un paternalisme consensuel et mielleux se perd dans des généralités, recommande « communication, transparence et dialogue » et « l’intégration des nouvelles technologies ». Tomás Kroyer affirme que l’Argentine est « en bon chemin » pour se hisser comme « nation moderne, nation diplomatique à vocation numérique du XXIe siècle ».
Ce Monsieur semble ignorer que c’était la vocation du pays et que, en dehors d’épisodes déjà lointains ou de crises ponctuelles, aucun pays d’Amérique Latine n’a poursuivi des objectifs coloniaux, des stratégies de domination militaire ou s’est doté d’une force suffisante pour envahir la planète. Plutôt, son histoire est celle d’une victime des appétits coloniaux d’Occident.
Le SoftPower est, en fin de compte, la capacité que l’État détient pour parvenir à ses fins, c’est à dire, imposer ses intérêts, sans faire usage de la force. Ce serait une sorte de colonialisme soft dont la pratique est, depuis le XVIIe siècle, l’une des grandes spécialités françaises.
À travers sa langue, sa culture, son universalisme, sa culture égalitaire, de la philosophie des Lumières ou de l’idéologie révolutionnaire, la France a propagé sa capacité persuasive autant que ses expéditions coloniales. Le concept est resté depuis ce temps-là gravé dans le récit national : « le rayonnement de la France » (l’éclat).
Dans son inégalable « Paris-Guide » publié en 1867, Victor Hugo distinguait déjà l’existence d’un pouvoir dur et d’un autre doux, d’un pouvoir de l’argent et d’un autre des idées. Là, l’auteur des Misérables a écrit : « Autour de cette ville [Paris], la monarchie a passé son temps à construire des enceintes, et la philosophie à les détruire. Comment ? Par la simple irradiation de la pensée. Pas de plus irrésistible puissance. Un rayonnement est plus fort qu’une muraille. »
Notes
[1] Portland-communications.com