Bachar al-Assad n’est pas un dictateur mais le dirigeant d’un régime génocidaire

De nombreuses personnes, au sein des médias, des centres de recherche et des gouvernements s’intéressent désormais moins à la Syrie du fait du Covid et d’autres problèmes. À cause de cela, l’approche de la Syrie se fait à travers le règne de la terreur qui légitime d’une certaine façon notre régime génocidaire. Car Bachar al-Assad n’est en réalité pas un dictateur mais le dirigeant d’un (de son) régime génocidaire.

Avec l’intervention des États-Unis, de la Russie, de l’Iran, de la Turquie, d’Israël ou encore des forces spéciales de pays tels que la France, le Royaume-Uni et tant d’autres, le régime génocidaire est, d’une certaine façon, légitimé.

Cela rend invisibles les Syriens, les victimes, ceux qui se sont battus pour la démocratie, la liberté et le changement politique. Nous ne sommes désormais vus que comme des réfugiés, des victimes, et non pas une communauté dont l’histoire est riche en combats pour le changement et la démocratie dans le pays. J’ai donc le regret de dire qu’il s’agit de la situation actuelle, après dix ans, et que cela en dit long sur le monde.

Je vois aujourd’hui qu’il n’y a pas d’alternative dans le monde, pour reprendre les termes de Margaret Thatcher. La même structure s’applique à la Syrie, il n’y a pas d’alternative à ce qui nous a été annoncé la première année, à savoir qu’il n’existe aucune option viable ou crédible face à Bachar al-Assad.

Pour la première fois, le 24 février, une cour de justice a condamné en Allemagne un tortionnaire syrien, pour les exactions commises en Syrie. Ancien membre des services de renseignement, Eyad al-Gharib, a écopé de quatre ans et demi de prison pour « complicité de crimes contre l’humanité ». Début mars, en France, une plainte a été déposée pour « crimes contre l’humanité et crimes de guerre » après les attaques chimiques dans la Ghouta orientale près de Damas, attaques qui remontent à août 2013 et qui hantent nos mémoires.

C’est une bonne chose, un bon début, et cela pourrait être une leçon puissante pour les criminels de guerre en Syrie et pour ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité. Mais, selon moi, dire que c’est la première étape vers la justice en Syrie est une grande exagération.

D’après ce que je vois à travers le monde, le régime bénéficie toujours de protecteurs très puissants et aucun État ou organisme international ne se soucie de poursuivre Bachar al-Assad pour ses crimes contre l’humanité. J’espère que cela arrivera un jour, mais j’ai bien peur que le tribunal ne se concentre que sur deux individus, trois peut-être, avec le docteur et tortionnaire. C’est donc une bonne chose mais, selon moi, il ne s’agit pas d’une première étape vers la justice en Syrie, ou pour les Syriens.

Cinq pouvoirs d’occupation sont présents sur le territoire. L’Iran est le premier. Non, tout d’abord, il y a Israël, qui occupe le territoire syrien de*puis plus d’un demi-siècle ; l’Iran, depuis le début de la révolte en 2011/2012 ; puis les États-Unis, depuis 2014 ; la Russie, l’année suivante en 2015 ; et enfin la Turquie, en 2016.

Nous avons de nombreux acteurs de sous-États, des mandataires représentant ces États. La Syrie est donc divisée en quatre : Idlib est dans une situation particulière, contrôlé par le groupe djihadiste HTS [Hayat Tahrir al-Cham, « Organisation de libération du Levant », ex-branche syrienne d’Al-Qaïda – ndlr] ; une autre partie du pays est dominée par les Russes et les Iraniens ; une autre est occupée par les Américains ; et le nord du pays est contrôlé par la Turquie.

Six millions et demi de nos concitoyens, soit près de 30 % de la population, vivent en dehors du pays. Ce matin, j’ai lu dans les actualités que la situation syrienne a coûté 1 200 milliards de dollars [un peu plus de 1 000 milliards d’euros, d’après un rapport de l’ONG World Vision – ndlr], soit plus de 20 fois le revenu du pays en 2010. C’est donc astronomique et le régime al-Assad va rester au pouvoir.

Le pire, c’est qu’il est toujours au pouvoir. Cela signifie que nous ne pouvons pas affirmer que le pire est derrière nous. J’ai peur qu’avec la restauration du régime, le pire reste à venir. Nous pourrions assister à davantage de destructions, de pertes… Au moins un demi-million, nous avons parlé d’un demi-million de victimes en cinq ans, ce qui est probablement une sous-estimation.


*Yassin al-Haj Saleh (né le 1 février 1961 à Racca) est un écrivain syrien et l'un des intellectuels opposants au régime les plus connus

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